Significant Other

BLOB no Ø

x = "0"

x == x

true

Note liminaire

BLOB est une parution qui vise, chaque année, à mettre en exergue un moment de réflexion au sein de l’Unité de Recherche Numérique en Art et Design de l’Esad Saint-Étienne / Ensba Lyon.

BLOB, davantage qu’un point d’étape sur les travaux en cours, donne l’occasion aux chercheuses et chercheurs de l’UR numérique de se retrouver autour d’une thématique ou d’un sujet d’intérêt dans une publication qui s’imagine résolument évolutive. L’intention n’est pas de produire une somme de textes ou de visuels « de référence » mais plutôt de montrer une pensée en développement, un moment dans un parcours de recherche.

Pour ce numéro 0, les diverses contributions ont été initiées autour d’un thème. Celui retenu, très large, puisqu’il s’agissait de « l’intelligence artificielle », a été affiné par l’intermédiaire d’une proposition d’Alain Barthélémy invitant à réfléchir à l’« Autre » et, notamment, à l’altérité numérique :

« L’idée est de se demander comment un certain nombre d’objets ayant traits aux évolutions récentes des technologies numériques nous permettent de (re)penser la notion d’altérité.
Qu’il s’agisse d’exploration spatiale, de deep learning ou encore d’éthologie, nombre sont les domaines qui peuvent nous amener à nous poser la question de l’existence d’un Autre et de notre capacité à entrer en contact avec celui-ci.
Lorsque l’on parle de ‹ formes d’intelligences ›, par exemple d’intelligence artificielle, ne faisons-nous pas inévitablement référence à une intelligence proprement humaine ?  Sommes-nous en mesure d’appréhender une forme d’intelligence qui n’aurait strictement rien en commun avec la nôtre ? Sommes-nous capable d’échapper à cet anthropomorphisme qui veut, par exemple, que l’on attribue volontiers de l’intelligence à un chien dès qu’il adopte un comportement qui imite celui d’un humain ? » (Alain Barthélémy)

Les contributions qui suivent se sont donc appuyées plus ou moins librement sur cette proposition initiale. Ainsi, même si les formes sont diverses, on décèlera une trace issue de cette première piste commune. Ce choix de travailler autour d’un « thème » sera sans doute requestionné à l’avenir mais il semblait intéressant de tenter cette expérience pour un numéro 0.

BLOB est aussi une expérimentation graphique. Son principe de génération est décrit à la fin de ce numéro. Corentin Brulé a mis en place, en collaboration avec Jérémie Nuel, un dispositif éditorial à partir de textes téléversés par les autrices et auteurs sur un dépôt Git. L’intérêt de cette chaîne graphique et qu’elle permet de produire une version web, PDF et imprimée dans la continuité tout en gardant un maîtrise formelle à toutes les étapes.
À noter, également qu’une version en langue anglaise de ce numéro 0 est disponible.

Enfin, nous renouvelons nos remerciements aux artistes, autrices et auteurs qui ont accepté de participer à ce numéro inaugural ainsi qu’à l’ESAD Saint-Étienne et à l’ENSBA Lyon pour leur soutien.

U+1F493

Nicolas Frespech

Conversation avec Jeremy Bailey

avec Ophélie DemurgerJeremy Bailey
Amazon Echo Gag
Après avoir écouté l’épisode 03 de son podcast « Good Point » avec Rafael Rozendaal sur les Intelligences Artificielles, j’ai posé quelques questions à Jeremy Bailey, qui s’est autoproclamé « Famous New Media Artist ».

Vous rappelez-vous de votre première rencontre avec une IA ?

La première fois que j’ai rencontré une IA c’était probablement en utilisant Eliza, le chatbot thérapeute. Ce n’était pas une IA à proprement parler mais pour mon cerveau d’adolescent habitué à passer le plus clair de ses journées sur des applications de messagerie instantanée, c’était excitant de me retrouver à parler avec un ordinateur pour recevoir des conseils psychologiques – surtout parce que j’étais justement en train de développer ma propre identité et que je n’étais pas sûr de pouvoir choisir la personne que j’allais devenir.

Considéreriez-vous une IA comme une véritable personne, même si elle se trouve dans un smartphone ou un ordinateur ?

Je pense que c’est ce que les humains exigent de tout ce avec quoi ils interagissent. Nous envisageons souvent le monde comme la victoire de l’homme sur la nature. Quand on se penche sur une IA, elle semble contenir cette promesse : « Regardez, nous avons créé la vie à partir de métal et de silicone ! » Cela s’étend à l’utilisation actuelle de l’IA, pour laquelle nous avons réinventé le travail gratuit (l’esclavage) en tant qu’outil. De façons de plus en plus problématiques, nous avons programmé nos assistantes (pour la plupart féminines) artificielles pour allumer la lumière et nourrir nos animaux domestiques – en ne pensant jamais à nous demander ce que cela peut signifier dans le contexte de l’histoire humaine. Le fait de considérer comme normal de donner des ordres à une femme, de se moquer d’elle ou de s’énerver quand l’ordre est mal exécuté est malheureusement très proche de la manière dont nous avons traité les vies de nombreuses personnes qui ont vécu sur cette planète.

Pensez-vous qu’un contact quotidien avec des IA puisse rendre l’humanité meilleure ?

Si je m’en réfère à ma vie auprès des assistants intelligents, alors tout indique que non. Ma maison intelligente est devenue le foyer d’une techno-misogynie quotidienne. Je crie sur Alexia pour qu’elle tamise la lumière, je lui aboie dessus pour qu’elle mette de la musique et je lui ordonne de se rappeler de nourrir mon chat. Quand elle se trompe je hurle et je l’accuse de ne jamais bien faire les choses. Je ne peux pas imaginer que ça n’a pas d’effet secondaire cognitif sur moi. Maintenant, je pense que nous avons l’opportunité de concevoir des IA pour nous aider et nous orienter vers des comportements positifs. Elles pourraient nous rappeler les inégalités de salaire quand nos actions en bourse chutent ou nous informer des changements climatiques quand le temps est anormal.

Avez-vous besoin ou désirez-vous un assistant IA dans votre vie artistique ?

J’aimerais un collaborateur. Je n’ai jamais aimé l’idée d’assistanat sans collaboration. En fait, j’aimerais beaucoup aider un collaborateur IA à faire progresser sa carrière et à atteindre de nouveaux sommets. Cultiver la carrière d’un ordinateur, je pense que ça serait vraiment cool.

Pensez-vous qu’une IA connaisse l’amour et puisse tomber amoureuse ?

L’amour est l’expression d’un respect pour quelqu’un d’autre, profond et réciproque. Une rivière est capable d’amour quand on boit son eau et qu’on la protège ensuite des produits chimiques, un arbre est capable d’amour quand il nous offre son ombre pour nous abriter du soleil et qu’ensuite, nous le protégeons du feu. D’après cette définition, une IA est capable d’amour, mais seulement si nous lui permettons d’apprendre à nous respecter et à nous laisser l’opportunité de faire de même. Une autre façon d’aborder le problème serait de nous demander si nous sommes capables d’aimer une IA ?

Pensez-vous qu’il soit possible de tomber amoureux d’une IA ?

Nous devons d’abord apprendre à la respecter.

Pensez-vous qu’une sexualité puisse exister pour les IA ?

Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible. Une grande partie de la sexualité consiste à affirmer ce dont on a envie, j’ai hâte de voir une IA qui est consciente de la façon dont elle expérimente le plaisir. Je ne sais pas si cela ressemblerait à notre sexualité mais je suis prêt à ouvrir ma compréhension du sexe au-delà des limites de mon corps.

Pensez-vous que les IA, les robots, les humanoïdes, puissent redéfinir la conception du genre ?

Complètement ! C’est ce que dit ma réponse à la question précédente. Les ordinateurs queers sont le futur.

Pourquoi pensez-vous que les gens ont peur des robots et des IA ?

Les gens ont généralement peur de ce qu’ils ne connaissent pas et de ce qu’ils ne peuvent pas contrôler. Je n’inviterais jamais un loup à entrer dans ma chambre non plus. C’est en partie parce que nous avons peur des chevaux de Troie. Laisser les corporations entrer dans nos foyers est terrifiant parce qu’elles n’ont pas la réputation d’agir de manière responsable. Si les IA agissaient de manière altruiste, on les supplierait de devenir nos compagnons de lit.

Les robots devraient-ils faire une campagne de séduction pour être mieux acceptés ?

Je pense que beaucoup de campagnes de pub accomplissent déjà ça.

À votre avis, que pensent les IA des humains ?

Je pense que ça doit être très similaire à ce que les grenouilles pensent de nous et à ce que nous pensons de la vie des arbres ou des étoiles. Nous les considérons comme une réalité que nous ne pouvons pas connaître, complètement différente mais parallèle à la nôtre.

Pensez-vous que les IA vont nous remplacer quand nous mourrons ?

Beaucoup de personnes croient cela et il y a un très bon exemple de quelqu’un qui a essayé ça ici : https://www.wired.com/story/a-sons-race-to-give-his-dying-father-artificial-immortality/

Mais je pense honnêtement que ça ne diffère pas d’une pierre tombale sur laquelle serait gravée l’histoire d’un individu. On peut la lire et imaginer une vie mais ça ne prolonge pas cette vie. Vivre, c’est être créatif pour apprendre, changer et grandir. Pour que les IA nous remplacent quand nous mourrons, il faut leur donner les capacités de transcender les limites de nos vies afin d’ensuite surpasser et effacer notre existence à travers des itérations perpétuelles.

Après votre mort, vous réincarneriez-vous en IA ? Conserveriez-vous votre esprit en-dehors de votre corps ?

Je pense que je me suis déjà réincarné un million de fois à travers google et youtube et facebook et twitter. Je me reflète dans des algorithmes tous les jours. Un jour, je ne serai plus présent pour voir mes propres réflexions mais elles resteront vivantes si quelqu’un décide de les regarder.

Pouvez-vous parler de Jeremy Bailey Next ? C’est une nouvelle version de vous ? Je ne suis pas sûre de comprendre, c’est votre site/projet, non ?

Oui, c’est un de mes projets qui permet de discuter avec une version artificielle de moi-même en tant que peinture (dans cette version l’IA n’a pas encore découvert la couleur). L’idée, c’est qu’une IA artiste puisse choisir de s’exprimer par des gestes et non par la voix parce que sa manière de communiquer est visuelle. Je rêve d’une version de moi-même qui pourrait créer des peintures ou des chorégraphies pour l’éternité. Je réitère constamment cette idée. Si youtube peut communiquer avec moi à travers des vidéos, pourquoi Alexia ne pourrait pas communiquer avec moi en chantant ou mon Roomba en dansant ?

Pour conclure, votre rêve est-il de créer votre alter ego IA ?

Mon rêve est de créer un monde plus inclusif et expressif, où tout le monde est célèbre – si une IA est capable de m’aider dans cette mission alors oui ! Absolument.

Gulbirra et les anadyomes

Alix DesaubliauxGulbirra et les anadyomes

Alors que mon avatar se réveille pour la première fois sur la plage au milieu des ronflements nasiques des parasaures, il se découvre un implant inséré dans l’avant-bras directement planté dans la chair. Le soleil brûle tandis que des roucoulements des dodos et le bruit des vagues symphonisent une bande-son triassique. Il ne tarde pas à se faire dévorer par un dilophosaure sifflant qui commence par lui cracher au visage un mucus verdâtre qui occulte son champ de vision avant de mourir.

Mon propre bras, lui, est allongé sur le bureau de mon ordinateur et ma main étreint la souris. Pas d’implants, de purulence, de bave de dinosaure ni de capacité à holo-afficher l’intégralité de mes possessions sur un écran flottant au dessus dudit implant. C’est la frustration de la mort de mon avatar qui me sort de ma concentration et le temps du respawn, je m’allume une cigarette. De retour in-game, je réalise que mon personnage est réapparu seulement à quelques mètres du dilophosaure qui est encore en train de farm le cadavre de mon ancien avatar : je me mets à courir dans la direction opposée pendant que j’entends le gloussement de la créature qui m’a déjà repérée pour la seconde fois. C’est un dinosaure de la taille d’un gros chien, mais qui court vite, du moins plus vite que les personnages de bas niveau comme le mien. Il abandonne alors mon ancien cadavre surmonté d’une colonne de lumière supposée m’aider à le repérer afin de venir récupérer mon stuff. J’arrive à fuir la bête en mettant entre elle et moi plusieurs dodos, insectes et herbivores inoffensifs que le dilo va aggro à ma place. Le temps de la course poursuite, ma cigarette s’est consumée et je ne l’ai pas fumée.

Dans cette brève action, j’ai oublié quelques instants mon propre environnement pour me concentrer sur celui de mon avatar. Ni mes besoins vitaux, ni mon envie de nicotine n’ont été suffisamment intéressants pour que je m’en préoccupe et c’est seulement par soubresauts lors des temps calmes de ma partie que je reviens à nouveau à la réalité. Autrement dit, je me projette à travers mon avatar : c’est son corps qui prend le pas sur le mien. Ça ne va pas jusqu’à une analogie complète et la proprioception est partielle : les mouvements et les animations ne sont pas calés, ça n’est pas assez immersif pour que je puisse croire que j’ai moi aussi cet implant irritant dans mon avant bras ou ressentir les mêmes démangeaisons dont semble souffrir mon personnage. Pourtant, même si il n’y a pas de « superposition » il y a quand même incarnation.

Je ne me suis pas représentée dans ce personnage mais son existence représente quand même quelque chose. Il peut aussi bien représenter quelqu’un pour faire du role-play que se représenter lui-même et agir à la manière d’un outil ou d’une prothèse. Certains joueurs choisissent de croire en l’identité de leur personnage comme un personnage de livre ou de roman, lui inventant ou lui découvrant une personnalité, un nom, parfois une histoire. D’autres vont se représenter et vivre avec intensité la manière dont il vont vectoriser leur conscience à travers lui. Parfois, l’avatar est simplement égal à lui-même et n’est la projection de rien. Il se tient comme il est, et n’est pas spécialement chargé émotionnellement : son anthropomorphisme n’est pas une qualité mais un simple paramètre d’affichage. Dans tous ces cas de figure, le corps de mon avatar reste important. C’est son enveloppe, son mesh qui définit ma hitbox et sa vulnérabilité. C’est lui qui va monter sur le dos mon griffon Gulbirra, récolter les coups des griffes des carnivores et plonger sous l’eau glacée récolter des perles de silice. C’est un ensemble de fichiers qui constituent ses stats, ses animations, sa forme, qui le place dans ma partie, qui le fait apparaître à l’écran des autres joueurs du serveur. C’est ce petit amas de données qui va me permettre d’interagir avec l’univers du jeu et tout ses éléments. Et ses mouvements sont induits par mes doigts qui s’étendent pour atteindre les touches requises au clavier, ou mes pouces qui étreignent la manette de jeux. Je concentre en un infime mouvement le coup de hache, le maintien d’une touche devient un sprint, la rotation de mon poignet fait faire une volte aérienne à ma monture. Ces brèves interactions coordonnées me permettent de penser – et non pas ressentir – les mouvements de mon personnages comme découlant de ma propre initiative. Cette initiative qui est à l’origine des mouvements de mon propre corps, est différente de ces mouvements même.

J’ai donc dû apprendre les différentes touches à utiliser afin de contrôler Gulbirra en vol. Le griffon est capable de faire des attaques en piqué dévastatrices mais il faut ensuite réussir à reprendre rapidement de l’altitude sous risque de se retrouver plaqué au sol et vulnérable. A chaque échec, c’était la mauvaise foi et l’imagination qui venait excuser mon manque de technique et de rigueur : il était plus facile d’accuser Gulbirra de faire n’importe quoi plutôt que de considérer mon manque d’entraînement. Après avoir dompté mon griffon nommé Gulbirra (en référence au personnage de Philip José Farmer, Jill Gulbirra, la première femme à avoir commandé un dirigeable au sein de sa série de roman Le Monde du Fleuve), j’ai rapidement pu aller chercher mes premiers oeufs de wyvernes. J’ai fini par élever 7 créatures, wyvernes de glace, de poison, de feu et de foudre. La wyverne est une créature qui peut être fragile si elle n’est pas correctement entraînée et j’ai donc du faire la même chose qu’avec Gulbirra : aller massacrer des mobs. Entraîner une armée de 7 wyvernes n’a pas la même allure que lorsque l’on entraîne un griffon de la taille d’un gros cheval, que l’on monte et contrôle soi-même. Une wyverne peut être chevauchée, mais on peut également « diriger » les animaux en sifflant des ordres via la pression de certaines touches. Les monstres se jettent alors en tourbillonnant tous en même temps sur la pauvre créature ainsi désignée par le raccourci clavier. Il n’y a pas d’échappatoire possible et d’autres dinosaures se retrouvent souvent pris dans la mêlée. C’est parfois des vingtaines de cadavres qui résultent de ces combats n’ayant pour seul but l’amélioration des performances. Voir une meute de loups entière périr sous les crocs des dragons est autrement moins discret que d’abattre à la chaîne des individus isolé avec un seul griffon. J’emmenais Gulbirra dans ces entraînements comme monture, je pouvait ainsi survoler le terrain et siffler de loin pendant que les wyvernes ravageaient tout sur leur passage en observant à distance les conséquences de mes décisions. J’avais pris ma revanche sur le jeu, rattrapé mon retard et j’avais mon armée de wyvernes. Après de longues heures passées en sa compagnie indéfectible, Gulbirra finit par périr tristement à cause d’une maladresse de ma part. Je m’étais déconnectée sans avoir pris soin de la mettre à l’abri, et elle s’était faite dévorée passivement par un ours. Sans même jouer ou entreprendre quelque chose, j’avais perdu ma créature préférée qui m’avait accompagnée tout au long de ma partie et permis d’obtenir tout ce que j’avais amassé et construit jusque-là.

J’allais donc devoir retrouver un griffon parmi les dinosaures sauvages que j’avais passé tant de temps à massacrer, et je me sentais incroyablement triste notamment à cause de la stupidité de cette perte. La question était là : qu’est-ce qui avait fait que je m’étais attachée à Gulbirra et que je pouvais en parallèle détruire des centaines de ses semblables ? Quelle était la différence entre Gulbirra et n’importe quel griffon sauvage (qui auraient pu chacun devenir de potentiels Gulbirra ?)

D’une part, Gulbirra est une créature chargée émotionnellement. Elle est investie et en partie instituée par le lien affectif que j’ai projeté sur elle. Contrairement à un être vivant biologique, elle n’est pas en mesure de retourner cette affection ou d’être directement consciente de cette affection qui lui est envoyée – elle n’est pas conçue pour. D’une part, le jeu ne permet pas de manifester cet attachement et le joueur est limité par les actions permises et programmées pour son avatar. Et la programmation du griffon n’offre pas de place pour le libre arbitre, l’intuition et l’instinct dont peuvent faire preuve les êtres vivants biologiques. On peut penser à certaines créatures numériques comme les chiots du jeu Nintendogs qui elles, sont crées afin de renvoyer de manière inconditionnelle cet amour mais ça ne change pas : ce que les chiots renvoient n’est qu’un réconfort visuel et l’attachement projeté par le joueur est plus profond. On peut tout autant créer quelque chose d’intense avec un personnage qu’il soit monture, tamagotchi, épée légendaire ou personnage scénarisé anthropomorphe : cela passe au-delà de l’aspect visuel et la réceptivité de cette qualité est entièrement subjective : c’est une question figuration et n’a pas d’incidence sur la nature de l’entité que l’on considère. On peut tout aussi bien charger émotionnellement un artefact puissant trouvé au coeur d’un donjon qu’un compagnon d’infortune, le cheval du héros ou encore un doudou ou un téléphone portable dans le monde réel. Gulbirra existe donc sous cette forme émotionnellement chargée, cette forme sollicitudinaire.

Cet aspect visuel apparaît dans le jeu grâce au fichier de mesh et de texture qui permettent d’afficher un griffon à l’écran. Mais il reste des différences majeures entre Gulbirra et n’importe quel griffon sauvage qui va lui aussi s’afficher en allant se servir des mêmes fichiers. Gulbirra est présente dans ma partie car dans le fichier de ma sauvegarde, il y a quelques lignes où sont stockées les informations la concernant. Les stats de Gulbirra y sont inscrites et c’est un fichier qui évolue à chaque enregistrement de l’état du jeu. Les stats évoluent selon une certaine typologie, définie par l’espèce dans un fichier type. L’affichage de tous les griffons, Gulbirra y compris, va également afficher le même mesh. Ils ont la même source. Les griffons sauvages existent également sous la forme des coordonnées et des informations immédiates dans ma partie. Des lignes séparées, mais cette fois dans la même sauvegarde, avec Gulbirra. ils existent donc de manière très semblable, la seule différence étant que Gulbirra habite mon cercle émotionnel. Les griffons sauvages habitent simplement l’univers de leur jeu et tant qu’un joueur ne les dompte pas, ils ne sont pas différents d’un rocher modélisé, faisant avant-tout partie d’un décor plutôt que d’une équipe d’acteurs. Les griffons qui cohabitent sur la carte sont donc les versants différents et particuliers d’une même entité, l’entité-griffon du jeu. Il est tous les griffons, dans toutes les instances de jeu, sur tous les ordinateurs, tous les serveurs. Cette « entité griffon » se matérialise via plusieurs de ces fichiers. Les fichiers types, de meshs, de stats, qui vont contenir le « code génétique » dont il va se servir. Et enfin, ses avatars, les anadyomes, ana de « au-dessus » (La Vénus sortie des eaux ou « Vénus anadyomène » (du grec ancien ἀναδυομένη, « surgie vers le haut », c’est-à-dire « sortie des eaux » ou « surgie des eaux ») qui sont ses avatars, autant que nous avons le nôtre.

L’univers du jeu est donc un espace interstitiel, porté par la structure de l’ordinateur et où s’y croisent et interagissent uniquement des avatars : ceux des joueurs, mais également ceux des entités virtuelles, des plectozoas. Ainsi, Gulbirra n’était qu’un de ces avatars parmi d’autres que j’ai choisi d’instaurer de la même manière que certains joueurs représentent un personnage en construisant leur avatar (un tiers ou eux-même). L’utilisation de l’avatar va le différencier par l’investissement et la charge émotionnelle, la permission de cette rétroactivité d’initiative et de mouvement, par l’accoutumance et l’attachement que le joueur va développer envers cet anadyome de manière analogue à la façon dont on s’attache à nos objets du quotidien.

Conversation avec Steve Grand

avec Alix DesaubliauxSteve Grand
Développeur du jeu Creatures et fondateur de Cyberlife Research, Steve Grand vit et travaille en Arizona. Autodidacte, il passe six années à expérimenter les réseaux neuronaux, les organismes évolutifs et l’intelligence artificielle afin de simuler l’évolution et l’activité cérébrale par ordinateur en Angleterre, où il fut gratifié d’un doctorat honorifique de l’Open University d’Angleterre, devenant ainsi membre de l’ordre des chevaliers de la Reine. Il structure et développe Creatures, un jeu de simulation de vie artificielle prenant place sur la planète Albia où le joueur est confronté à la tâche d’élever avec des Norns, créatures bipèdes pouvant interagir avec leur environnement, et devant vivre, apprendre et parler au sein d’un écosystème entièrement simulé. Les enzymes, les réactions chimiques, les neurones, l’ADN et les gènes des créatures, l’activité neuronale et les systèmes d’apprentissage sont accessibles au joueur, qui est chargé de la lourde responsabilité de leur apprentissage et leur maintient physiologique. Le premier opus sorti en 1996 et la dernière version du dernier épisode, Creatures Exodus, fut réalisé en 2004.
Steve travaille désormais sur un nouveau projet intitulé Grandroids au sein desquelles évoluent les Gloops, quadrupèdes modélisés en trois dimensions disposant de cerveaux maintenant capables de mouvements moteurs là où Creatures se déroulait sur un plan en deux dimensions, et où les Norns étaient conçus à partir d’un rapport verbe-objet-stimulis à leur monde.

Y a-t-il une différence entre le fruit de votre travail, que l’on pourrait qualifier de vie artificielle (a-vie) et d’autres simulations de vie virtuelle ?

Techniquement parlant, l’a-vie est juste une sorte de biologie théorique — c’est l’exploration d’hypothèses biologiques, comme l’évolution ou la croissance, grâce à des simulations par ordinateur. Nous donnons beaucoup de significations différentes au terme a-vie et nous sommes plus ou moins à l’aise avec certains de ses plus étranges aspects. Mais nous nous accordons, pour la plupart, sur une notion centrale : la vie est un processus, et non une chose, une substance ou une propriété. Les processus sont indépendants de leur substrat. Ainsi, si un processus se déroule dans un substrat qui n’est pas son substrat naturel (dans un ordinateur par exemple), est-ce toujours le même processus ? Si ça ne l’est pas, pourquoi ? Et si ça l’est, et si les processus de la vie sont adaptés à l’existence au sein d’un ordinateur, cette vie est-elle réelle ?

C’est une question assez difficile, parce qu’elle n’a manifestement pas de réponse immuable. Une statue n’est pas une personne, peu importe à quel point elle y ressemble. Un chatbot, programmé pour répondre à des questions médicales, ignore tout de la sensation d’être malade, il représente donc lui aussi une imposture. Comme la majorité des simulateurs de vie virtuelle.

Mais supposons que, volontairement ou accidentellement, un phénomène émerge de la simulation de ces minuscules éléments sans vie. Supposons que cela arrive exactement de la même manière et pour les mêmes raisons qu’un phénomène émerge dans la nature, sans qu’un comportement ait été explicitement injecté dans le code. Alors, ne peut-on pas dire qu’il s’agit sûrement du même phénomène ?

C’est ce que je fais. Je fabrique par ordinateur des simulations de composants biologiques, comme les cellules nerveuses et les enzymes, et ensuite, je trouve des moyens de les brancher ensemble afin qu’ils puissent vivre et respirer et ressentir et penser, sans écrire un code qui ferait simplement semblant de faire toutes ces choses.

Voire même sans utiliser une seule ligne de code qui fasse quoi que ce soit. Si j’écris du code pour simuler un neurone, alors ce n’est évidemment pas un vrai neurone. Mais si je branche des milliers de ces simili-neurones ensemble pour fabriquer un cerveau et que ce cerveau pense, tout seul, alors ce n’est pas la faute du cerveau si ses neurones ne sont pas réels. Le cerveau reste un vrai cerveau, et possède de véritables pensées. S’il éprouve des espoirs et des peurs à propos de ce qui lui importe vraiment, ces espoirs et ces peurs ont de grandes chances d’être véritables.

Comment envisagez-vous la conscience ? Peut-on parler de « zophenia » à propos de la vie qui émerge d’un système de jeu et de la vie artificielle comme phénomène ? (zo venant du grec ancien « viz » et phenia « révéler, apparaître »).

Zophenia me semble être un très bon mot pour ce que je viens de décrire ! Concernant la conscience, c’est une question très difficile. D’abord, personne ne s’accorde sur la signification de ce mot. Ensuite, nous avons souvent tendance à avoir une réflexion erronée lorsque nous nous penchons sur ce sujet, parce que nous sommes nombreux à ne pas vouloir croire que la conscience est un processus qui peut être reproduit.

Nous préférons penser que c’est une sorte d’ingrédient magique, même si nous essayons très fort de faire semblant que nous ne croyons pas à ce genre de chose !

Il me semble que « conscience » est un mot qui peut être appliqué à beaucoup de choses différentes, parce qu’il y a beaucoup de niveaux ou de couches de conscience. Mais un de ses principaux composants est la capacité à penser aux choses. L’intelligence ou l’utilité de ces pensées n’a pas d’importance ; le fait de penser tout court est déjà assez étrange et merveilleux. Cela signifie que nous avons la capacité incroyable de déconnecter nos cerveaux du moment présent et de nous rendre ailleurs, à l’intérieur même de notre esprit. C’est la capacité d’imaginer des choses qui ne sont pas réellement en train de se passer.

Nous autres humains, nous pouvons faire ça sans limite : nous pouvons nous glisser dans la peau de quelqu’un d’autre, penser à des choses qui n’existent pas encore, revisiter notre passé lointain ou suivre l’intrigue d’un récit fictionnel. Il me semble que nous pouvons faire ces choses uniquement parce que nous avons commencé par faire des choses plus faciles, que beaucoup d’autres créatures peuvent faire, comme imaginer où notre proie va s’enfuir ensuite ou ce qu’il se passera si nous sautons de ce rocher.

Cela requiert un équipement spécial dans notre cerveau. Sans cela, nous ne serions pas conscients. Ce qui m’intéresse c’est ce à quoi ressemble cet équipement et comment il fonctionne.

Pouvez-nous nous parler un peu de la psychologie de vos créatures ? Est-ce qu’elles « pensent » comme nous pensons ?

Elles pensent. Tout comme nous. Mais ça ne veut pas dire qu’elles pensent comme nous, si vous voyez ce que je veux dire ! Certains oiseaux sont très intelligents et sont capables de créer des idées très complexes dans leur tête, mais il nous est complètement impossible d’imaginer vraiment ce que c’est que d’être un oiseau. Toutes les créatures sont différentes. Mais même si un tracteur est très différent d’une voiture de course, ce sont tous deux des véhicules. Ils ont des principes en commun. Essayer d’atteindre le cœur de ce qui rend possible la conscience implique la capacité de voir et de reproduire les grand principes qui la façonnent, sans s’encombrer des détails de leur exécution.

Ce n’est pas facile. Nous avons traversé des décennies de recherches sur les réseaux neuronaux fondées sur de mauvaises caractéristiques de neurones. Nous ne savons pas quelles caractéristiques sont importantes, ni comment les neurones s’organisent dans le cerveau. Nous n’avons littéralement aucune idée de la façon dont marche le cerveau – d’après quels principes de base il fonctionne – malgré le travail acharné de milliers de chercheurs. Nous ne pouvons donc probablement pas résoudre cela de manière analytique ; nous avons besoin d’en faire un art créatif. Après quarante ans à essayer de développer mon art, j’ai abouti à des idées qu’il me semblait intéressant d’expérimenter, et jusqu’ici, elles semblent fonctionner. Mais est-ce qu’elles représentent vraiment la façon dont vous et moi nous pensons, ça je n’en sais rien…

La notion d’« écologie de la vie » conçue par Tim Ingold proclame que tout être devrait être envisagé d’après l’ensemble des connexions qu’il établit avec son univers : Comment les êtres virtuels que vous avez conçus sont connectés à leur monde ? Est-ce une relation éco-systémique ?

Je ne pense pas qu’il existe de frontières entre notre monde et nous, si ? En tous cas, ce ne sont pas des frontières tangibles. 90 % des cellules de mon corps sont des bactéries. Elles n’ont pas de rapport avec moi et pourtant je ne peux pas vivre sans elles. Elles sont moi. Mais si vous et moi nous nous serrons la main, un peu de moi deviendra vous et un peu de vous deviendra moi. Les 10% restant de mes cellules, qui ont vraiment de l’ADN humain en elles, sont en fait simplement de toutes petites créatures monocellulaires indépendantes ; les descendantes d’un ancêtre commun. Elles se retrouvent juste amalgamées ensemble et doivent compter les unes sur les autres pour survivre. Et si cela n’était pas déjà assez étrange comme ça, parmi nous, certaines personnes totalement ordinaires ont démarré leur existence en tant que jumeaux et ont ensuite fusionné pour devenir un seul être vivant ! De même, je suis, en partie, ce que j’ai mangé au dîner hier. Dans quelques années je ne serai plus du tout fait de ce qui me compose aujourd’hui… Donc nous ne sommes absolument pas aussi séparés et distincts que nous aimerions le penser !

Les connexions sont tout ce qui compte. Les relations sont tout ce qui existe. Et c’est aussi vrai pour le code informatique. En tout cas, le code informatique intéressant. La première chose que j’ai faite quand j’ai commencé à programmer a été de transformer mon ordinateur clair et logique, cette machine qui réalise chaque chose en son temps, en une masse de relations analogiques, désordonnées et simultanées.

Je suis complètement d’accord avec le fait que tout être doit être envisagé à travers chacune des connexions qu’il établit avec son monde. En fait, j’irais même jusqu’à dire que ce réseau de connexions est la seule chose qui constitue un être. Donc oui, pour moi, une des choses merveilleuses à propos des logiciels, et spécifiquement à propos des véritables logiciels de vie artificielle, c’est qu’ils nous permettent de dissoudre toute la « matière » et de nous retrouver uniquement avec les relations. Si on creuse un peu, on peut commencer à voir que même la « matière » n’était en fait constituée que de minuscules relations depuis le début.

Dans Creatures, le joueur partage le même langage que les Norns, et cela représente (en tout cas, c’est ce que j’ai perçu) l’essence même de l’interaction du joueur avec eux autant que la façon dont les Norns comprennent leur monde.

Comment avez-vous conçu ce système ? À quel point le langage est-il entremêlé à l’écosystème, aux créatures, au joueur ? Grandroids va-t-il aussi comprendre un système de langage ?

En gros, j’ai ajouté le langage à Creatures après coup, mais je pense que les gens l’ont trouvé particulièrement important. Il n’a jamais vraiment marché correctement, parce que les créatures avaient tendance à s’entendre dire quelque chose et à la répéter ensuite, ce qui entraînait la première créature à la dire à nouveau et ainsi de suite. Elles se mettaient dans un coin et se hurlaient le même mot les unes aux autres encore et encore !

Le véritable langage est une des plus grandes réussites du cerveau et bien sûr, je n’ai pas réussi à créer de cerveau artificiel capable de faire quoi que ce soit d’aussi complexe que ce que nous faisons. Mais je pense que les éléments basiques du langage – sujet, verbe, complément, agrémentés des adjectifs et des adverbes – sont aussi les éléments basiques de la pensée et de l’intelligence. La vie consiste à faire des choses à d’autres choses – « frapper fort la balle rouge avec le gros marteau ». Et donc, il a été assez facile de cartographier, grâce à des phrases simples, les actions que les créatures avaient appris à faire, pour que le fait de leur dire quelque chose les mène à « penser » à faire cette chose.

Leur permettre d’apprendre des mots par elles-mêmes, dans le langage même de l’utilisateur, était assez simple pour les noms. Si on montrait une balle à une créature en tapant « balle » ou « ball », alors le cerveau de la créature faisait attention à la balle et associait le mot avec l’objet de son attention.

Pour les verbes, c’était plus difficile. Il n’était pas possible de MONTRER aux créatures ce à quoi ressemble « marcher » ou « embrasser » ou « frapper », puisqu’elles ne pouvaient pas nous voir. On ne pouvait pas non plus attendre qu’elles décident de se mettre à marcher, embrasser ou frapper et ensuite dire le mot, parce qu’on ne pouvait jamais être vraiment sûr de la nature de leur intention à ce moment-là. Donc j’ai créé une « machine à apprendre » qui stimulait leurs cerveaux COMME SI elles étaient sur le point de frapper quelque chose et ensuite stimulait leurs cerveaux COMME SI elles avaient entendu le mot que l’utilisateur voulait qu’elles associent à cette action. J’ai fait en sorte que le fait de jouer avec la machine à apprendre soit divertissant pour les créatures, elles étaient donc assez heureuses d’apprendre le vocabulaire des actions.

Pour Grandroids j’ai établi une méthode un peu plus compliquée (et probablement encore plus inutile !) dans leurs cerveaux, mais elle fonctionne fondamentalement de la même manière – ils apprennent à associer une chose (un mot) avec une autre (une action ou un objet). Cette fois, ils démarrent avec un vocabulaire enfantin lorsqu’ils naissent, mais l’utilisateur peut enregistrer sa propre voix pour leur « apprendre » de nouveaux mots. J’ajuste ensuite la voix de l’utilisateur pour en faire la voix de la créature (en gros, je la rends plus aiguë), et les créatures se mettent alors à prononcer les mots que l’utilisateur leur a « enseignés ». Mais il ne s’agit que de programmation – les cerveaux des créatures n’ont pas à apprendre comment comprendre de véritables sons, ni comment les reproduire en contrôlant leurs bouches et leurs cordes vocales.

Angoisse universelle

Valentin Godard

Double Trouble

Alain BarthélémyDouble Trouble

Et qui ne sent, dans un moment où une si notable partie du genre humain frémit dans l’espérance de prendre enfin en main ses propres destinées, que le succès où l’insuccès d’une telle entreprise dépendra peut-être d’une simple nuance de sagesse, ou d’un degré de la sincérité, ou de la répartition des zones de cécité ou d’une vision claire du présent et de l’avenir, chez ceux (individus ou groupes) qui joueront par privilège le rôle d’organes principaux et efficients de cette prise en mains ? Étienne Souriau, L’Ombre de Dieu, 1955

Ce texte, incertain autant qu’incomplet, se présente comme la mise en forme succincte d’une prise de notes concernant deux objets culturels rencontrés lors de ma recherche et ayant trait aux questions de l’altérité, prises sous le scope des rémanences du sacré dans un monde techno-scientifique. Évènement historique au sens le plus démonstratif, mon premier objet est le projet Voyager initié par la NASA dans les années soixante-dix. Sous une apparente vocation exclusivement scientifique, le projet m’a semblé receler une dimension narrative et intimement spirituelle qui a particulièrement retenu mon attention. Il m’a dès lors semblé assez naturel de lui faire côtoyer une oeuvre de fiction dont la parution lui fut contemporaine : la bien connue Solaris de Stanislas Lem. Bien que s’hasardant à une forme d’analyse critique de ces objets parents — fait historique et récit fictionnel —, ce texte n’en a pas pour autant la vocation qui se veut plutôt celle d’une pérégrination à proximité d’étrangetés exoplanétaires.

Le disque d’or

Le vingt août 1977 à midi cinquante-six UTC une lueur intense se refléta dans l’oeil de Carl Sagan au centre de lancement de Cap Canaveral. L’excitation du brillant astronome avait certainement atteint son paroxysme au moment de la mise à feu du lanceur Titan-Centaur qui arracha la sonde Voyager II à la gravité terrestre pour la projeter au-delà des limites du système solaire. En plus des instruments de mesure et de prise de vue qui devaient permettre aux scientifiques d’étudier au plus près Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, les sondes Voyagers I et II étaient équipées d’un étrange bouclier protégeant un disque en cuivre doré : The Golden Record. La mission du Pr. Sagan avait été d’établir le contenu de ce disque destiné à celles ou ceux qui se verraient recevoir les sondes par delà l’horizon de tout espace connu.

1 Aux cotés de Carl Sagan, cinq personnalités donc : Frank Drake (astronome, fondateur du SETI), Ann Druyan (journaliste), Timothy Ferris (essayiste scientifique), Jon Lomberg (journaliste scientifique) et Linda Salzman Sagan (artiste et écrivaine)
2 Le disque comporte des messages de salutation dans 55 langues qui débute avec un « May all be very well » en akkadien (langue parlée 4000 ans avant notre ère) et se termine avec un « Best wishes to you all » en wu (dialecte chinois contemporain)
3 L’emploi de l’uranium 238 a ici pour vocation de constituer une horloge ou un minuteur atomique, permettant au destinataire du message d’en déduire la date d’envoie par une méthode analogue à la datation au carbone 14, dans l’hypothèse ou ce dernier disposerait d’une telle technologie.

Pour ce faire, Carl Sagan composa une équipe de quatre journalistes et scientifiques qui formèrent ce que l’on aurait pu appeler le comité éditorial1 de ce message « Humain à destination de Intelligence Extraterrestre ». Le support fut donc celui d’un disque micro-sillon sur lequel furent gravé 90 minutes de musique, 116 images, 21 sons, et 55 messages de salutation dans des langues allant de l’akkadien au wu2. Ce disque d’or, au titre évocateur de « The Sounds of Earth », fut délicatement logé dans un coffret circulaire lui-même fixé sur le panneau latéral de chaque sonde. Le couvercle en aluminium plaqué à l’uranium 238 ultra pur3 comportait en outre, un ensemble d’instructions pour lire le disque et en décoder les images. L’unité de temps élémentaire utilisée afin de définir la vitesse de lecture et le séquençage numérique des images fut celle de la période de transition d’un atome d’hydrogène, dans l’idée que l’atome d’hydrogène et les lois physiques qui permettent d’en prédire les états ont une persistance universelle dépassant le champ d’un savoir proprement humain.

Voyager spacecraft, source : wikipedia.org/wiki/Programme_Voyager
A
The Golden Record
B

La sélection d’images encodées sur le Golden Record se voulait représentative du monde en 1977 et en un certain sens, elle l’était. Elle était peut-être même malgré elle, l’archétype d’un regard occidental qui échoue dans la tentative de décrire un monde par delà les contours de sa propre hégémonie. Que penser de cette photographie du sprinter Ukrainien Valeri Borzov remportant la finale du 100m aux Jeux Olympiques de Munich de 1972 en plein contexte de guerre froide ? Ou encore de cette image d’embouteillage dans une métropole thaïlandaise, où une mustang rutilante se retrouve évidée de sa symbolique de puissance dans l’engorgement du trafic ?

Au delà d’une historicité américano-centrée proéminente, l’origine du malaise provient certainement d’une forme de confession ou d’autocritique livrée en sous-main ; la portée universelle d’un message envoyé au nom de l’humanité se retrouve ainsi bien vite réduite à l’expression autocentrée d’un comité scientifique américain, dont le désaveu apparent peine à faire croire à une réelle distance critique par rapport aux logiques impérialiste et coloniale dont, en un sens, la NASA en tant qu’organe de propagande politique, n’en est qu’une expression parmi d’autres. Dans cette ambiance où l’enjeu politique d’hégémonie culturelle opposant les deux super-puissances du moment semble dépasser de loin les enjeux scientifiques, on observera avec ironie quelques détails criants tels que la la récurrence du mot paix4 dans des messages de salutation adressée à un peuple qui mutatis mutandis, ne se voit pas nécessairement concerné par la guerre.

4 Voir sur ce point la liste des messages de salutation, disponibles sur le site de la NASA et dans les éditions de Murmurs of Earth.

Même s’il est certain que Sagan et son équipe étaient bien conscients de s’adresser au monde occidental tout autant qu’à une éventuelle forme de vie extraterrestre intelligente, nous sommes en droit de nous poser la question de la nature même de cet autre pour lequel le message des sondes Voyager a été conçu. Très certainement, si celui-ci n’est pas muni d’au moins un oeil pour voir5 les images, d’oreilles pour écouter sons et musiques, et d’une intelligence très semblable à la notre pour décrypter l’ensemble, il y a de fortes chances que la beauté du présent que lui fait l’humanité lui échappe quelque peu.

5 Il est intéressant d’observer que les anatomies des extraterrestres, tels qu’ils sont représentés dans des fictions d’origines diverses (disons de Wells à Roswell), sont toujours suffisamment familières pour que l’on puisse les identifier à des créatures (éventuellement humanoïdes), et suffisamment étranges pour indiquer que ces créatures ne proviennent pas de notre monde.

Alors, pour que nous puissions espérer une réponse digne de celle du Wow! Signal 6, il faudrait qu’une forme de vie intelligente, mais d’une intelligence supérieure7 à la nôtre, capte notre bouteille à la mer interstellaire. Dans sa grande sagesse et son omniscience, cette forme de vie saurait se mettre à notre niveau pour formuler une réponse que nous puissions recevoir et comprendre.

6 Le Wow! Signal est un signal radio d’une amplitude « extraordinairement importante » captée par le radiotélescope « The Big Ear » de l’université de l’Ohio le 15 août 1977. L’origine de ce signal radio est resté longtemps inexpliquée et a donné lieu à de nombreuse spéculations. Même si aujourd’hui l’hypothèse d’une émission liée au passage d’une comète semble être la plus répandue, elle ne fait toujours pas l’unanimité ; avis aux amateurs d’exo-crypto…
7 Il faudrait donc que cette intelligence soit d’une part semblable à la nôtre (ou en tout cas suffisamment proche pour qu’une « traduction » soit possible), mais de surcroît qu’elle soit qualitativement supérieure afin que notre langage lui soit intelligible et suffisamment simple pour qu’elle puisse en réaliser la traduction. La définition de l’intelligence et son caractère hautement anthropomorphique pose déjà ici grandement problème. La question d’une qualité ou d’une quantité d’intelligence ne va définitivement pas vers sa simplification…
Valeri Borzov-aux JO de Munich
C
The Golden Record
D

Il y a donc ici une expérience de l’altérité que l’on peut voir de deux façons. La première est que cette intelligence supérieure n’est autre que ce que la culture occidentale monothéiste appelle Dieu. L’appareil des dispositifs techno-scientifiques visant à nous mettre en communication avec cette intelligence supérieure, se présentant ainsi comme les éléments liturgiques — architectures, artefacts, et cérémoniels — d’un culte qui ne dit pas son nom. La deuxième, est que le désir d’une rencontre avec un alter ego qui nous serait supérieur et donc en capacité de nous soumettre et de nous dominer, n’est autre que l’expression d’un fantasme de la fin du monde présent en occident au moins depuis le début de la tradition judéo-chrétienne. Fantasme s’exprimant sous diverses formes selon les époques ; on se souviendra en l’occurence que l’exploration spatiale n’aurait été possible sans les des travaux de Wernher von Braun8.

8 Wernher von Braun est un ingénieur Allemand né en 1912 qui dédia sa vie à la recherche sur les fusées. Il adhère au parti nazi en 1937, devient officier SS en 1940 et supervise la mise au point des missiles V2 durant la seconde guerre mondiale. Il sera emmené aux États-Unis en 45 avec plus d’une centaine de ses collaborateurs afin de participer à la mise au point de missiles balistiques pour l’armée américaine, puis de lanceurs spatiaux pour la NASA.

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En cette fin d’année 2019 les astrophysiciens Michel Mayor et Didier Queloz se sont vu décerner le Prix Nobel de physique pour la détection de la toute première exoplanète, 51-Pegasis b, en 1995. Cette découverte a ouvert la voie à un champ de recherche autant qu’à une fascination sans précédent pour ces planètes qui gravitent bien loin de notre système solaire. C’est notamment grâce à de nouvelles techniques et instruments d’observation tels que le télescope Kepler, mis en orbite en 2009, qu’en un peu plus d’une vingtaine d’années les scientifiques ont pu recenser près de 4000 planètes et former de nouvelles disciplines telles que l’exobiologie. Car à ne pas s’y méprendre, la recherche des exoplanètes, loin d’une simple volonté taxonomique, a bien pour motivation la découverte de la vie extra-terrestre. Les critères sont donc la zone habitable, l’eau liquide, le dioxygène, et autres biosignatures…

Ce regain d’intérêt pour l’espace lointain, à la forme d’un space rush II – toward alien life forms, nous entraine à un retour vers une autre science, celle-ci explicitement fictionnelle : la solaristique.

Dans la tourmente isomorphe

Solaris, planète à la fois décor et personnage central du roman éponyme de Stanislas Lem, se fait l’objet d’étude d’une communauté scientifique en crise face à une entité qui n’aura de cesse de se dérober à sa réification par l’analyse et la rationalité humaine. Paru en 1961, le roman subira deux adaptations au cinéma : l’une par Andreï Tarkovski en 1972 qui y verra certainement l’opportunité de développer une critique de la raison et de l’objectivité scientifique, puis une deuxième en 2002 par Steven Soderbergh qui s’attardera sur un pan plus psychanalytique de la relation amoureuse liant les deux protagonistes principaux.

L’intrigue, peut se reconstruire selon trois cercles concentriques. Au centre, le premier cercle, représenté par la planète elle-même, va jouer le rôle d’attracteur ; elle définira les agencements et polarisera les relations entre les personnages dans le reste du récit. Gravitant entre deux soleils, cette étrange planète voit sa surface intégralement couverte d’un océan pouvant donner lieu à l’apparition de formes solides, figures hallucinées reflétant une des expressions de ce que les humains comprennent comme étant une forme d’intelligence. La figure poétique de l’océan ; volume mouvant, communicant, à la continuité et l’unité incommensurables, apparaît ici comme une explicitation formelle de l’inintelligibilité du vivant. Lem fait ainsi montre d’une certaine habilité en donnant forme à une déité qui ne soit ni irreprésentable, ni anthropomorphique. Car même si la fabrique de dieux planètes ou de dieux océans ne représente pas de réelle invention en soi, l’apparition d’un dieu qui ne soit pas médié par une incarnation anthropomorphe9 semble ici assez remarquable.

9 On soulignera en outre que Solaris ne se fait pas le dieu des océans, mais est un bien un dieu océan. Ce qui change singulièrement sont statut ontologique, dans une vision qui décentre l’homme d’un théâtre divin ; le dieu océan lui tournant ici ostensiblement le dos en demeurant inincarné. On remarquera également que les figures générées par l’océan (à sa surface ou en projection) sont toujours des réflexions, des reproductions issues d’un imaginaire humain ; Solaris ne s’exprime pour ainsi dire jamais en propre, ce qui ne l’empêche pas d’apparaître comme une entité intelligente aux yeux des hommes qui y voient le reflet de leur propre intelligence.
10 J’utilise ici le terme de projection pour désigner les avatars générés par Solaris, le terme faisant appel à l’Invention de Morel de Casares, référence qui n’était peut-être pas étrangère à Lem. A noté que dans le récit les projections sont dénommés une seul fois explicitement « créations F » par Snaut (p 158 dans l’édition référencée en bibliographie)

Le deuxième cercle, est décrit par l’orbite de la station d’étude de Solaris. Lieu principal du récit, celle-ci représente l’espace d’interaction entre Solaris et les hommes. Interaction duplexe ou duale mais non symétrique ; la planète se trouvant en capacité de lire la mémoire et peut-être l’esprit des habitants, alors que ces derniers ne parviendront jamais à en pénétrer la psyché. La station spatiale se présente ainsi comme une interface, un plateau de jeu dont Solaris se fera la maîtresse autant que la matrice, produisant des projections vivantes construites à partir des souvenirs des cosmonautes. Ces projections10 seront autant de nouveaux joueurs exposant ces derniers aux affres d’une confrontation avec l’incarnation de leurs pensées. Néanmoins la métaphore du jeu ne fonctionne qu’à moitié, car la planète ne manifeste jamais de réelle intention. Elle semble agir en permanence au delà du spectre de l’intelligibilité humaine, ne pouvant constituer la figure d’un adversaire ou d’un ennemi, et se dérobant ainsi à la dichotomie d’une morale manichéenne. Cette confrontation avec les projections, se verra détaillée dans l’intrigue liant le personnage principal, le psychologue Kris Kelvin, à sa visiteuse Harey, incarnation de son ex-compagne s’étant donnée la mort suite à leur rupture quelques années auparavant. Cette dyade va s’articuler autour d’un miroir à deux faces, rendant impossible toute tentative de constitution d’un « nous » entre les deux personnages.

I don’t know myself (extrait du Solaris d’Andrei Tarkovski)
E
11 « Quand le « je » cherche à se définir, il peu commencer par lui-même, mais il découvrira que ce soi est déjà impliqué dans une temporalité sociale qui excède ses propres capacités de narration ». Judith Butler, Le récit de soi, p 7.

D’un côté du miroir, se trouve Harey. En tant qu’être qui n’a pas encore conscience d’elle-même, Harey apparaît initialement dans le récit comme un proto-sujet qui n’aura de cesse de chercher à se définir. Mais celle-ci s’est vue littéralement construite — made but not born — à partir de la mémoire d’une seule et unique personne. Bien que l’on puisse imaginer que nos souvenirs soient des objets malléables, dont l’origine nous est parfois étrangère, la conscience d’une mémoire exclusivement exogène peut s’avérer pour le moins troublante dans la constitution de soi. Si selon Judith Butler il y a toujours un contexte social au sein duquel s’exerce la constitution du sujet11, l’aliénation du personnage de Harey tient certainement au fait que le contexte se voit ici réduit au seul esprit de Kelvin. Ce qui ne l’empêchera pas de l’aimer d’un amour sincère bien que fabriqué, faisant du personnage une figure en totale abnégation. Si la relation amoureuse peut tendre à une dissociation entre l’autre dans son autonomie12 et la représentation que l’un peut en avoir, le personnage de Harey en tant que représentation incarnée, offre une expérience de pensée singulière, questionnant tout autant la part narcissique de l’expérience amoureuse, que les limites de la reconnaissance dans un contexte affectivement chargé. Cette reconnaissance, cette interpellation, pour suivre encore Judith Butler, se présente comme un geste nécessaire dans la formation du sujet :

12 L’autonomie d’Harey ne se vérifiant d’ailleurs qu’assez peu dans la suite du récit, la matérialité des projections restant en suspend par rapport à une expérience d’hallucination collective qui pourrait être celles de cosmonautes de la station.

Il convient de faire ici au moins deux remarques. La première concerne notre dépendance fondamentale à l’égard de l’autre, le fait que nous ne puissions exister sans interpeller l’autre et sans que l’autre ne nous interpelle, et l’impossibilité de nous départir de notre socialité fondamentale. Judith Butler Le récit de soi p. 33

N’étant issue que de souvenirs de Kelvin, il n’y aura ni interpellation, ni reconnaissance, ni quelque forme de devenir autre pour Harey, qui se verra dans l’impossibilité de constituer un « je ». Prenant conscience de son impossible individuation, la dissociation se fera trop forte et Harey cherchera à se donner la mort dans un ultime mimétisme de sa version historicisée par Kelvin.

Si du côté de Harey, le miroir est donc un miroir sans reflet, le trouble de Kelvin tient vraisemblablement à la présence d’un reflet trop fidèle. La rencontre, si elle comprend un ensemble complexe d’évènements et de relations, se caractérise toujours par la constitution d’un récit commun. L’autre devient à la fois auteur et dépositaire d’une mémoire partagée qui forme le centre narratif d’un « nous ». Lors d’une séparation, ce « nous » ce scinde en deux récits disjoints, et la mémoire partagée, entité jusqu’alors vivante et alimentée par l’expérience commune, se fige pour devenir un inanimé. Dans le cas d’une relation liant deux sujets distincts, il sera toujours possible de réactiver ce « nous » dans une anamnèse commune : dans un « tu te souviens ». Car même si les récits ont pu fortement diverger, c’est bien leur différence et donc leur possible confrontation qui en définitive donne vie à cette mémoire partagée. Comme nous venons juste de leur voir, la relation liant Kelvin et Harey n’est pas celle de deux sujets distincts mais bien celle d’un sujet avec une partie de lui-même. Harey, en tant que projection, ne représente pas de véritable altérité ; la confrontation qui pourrait permettre de redonner vie au « nous » entre les deux protagonistes, n’aura donc pas lieu. On imagine ainsi la solitude de Kelvin, qui au lieu de retrouver la personne qu’il a aimé et perdu tragiquement, se voit livré face à lui-même en compagnie de sa seule idée de cette personne. Sa première réaction sera d’ailleurs le rejet face à ce qu’il comprend comme une hallucination incarnée, mais il cédera bien vite à la tentation de garder Harey auprès de lui, même si celle-ci n’est qu’une reproduction selon son propre schéma mental. Dans ses enquêtes post-hégéliennes du récit de soi, Butler nous rappelle que selon la phénoménologie hégélienne, la rencontre se présente comme un processus irréversible :

En fait, s’il nous faut suivre la Phénoménologie de l’esprit, les rencontres dont je fais l’expérience me transforment invariablement ; la reconnaissance devient le processus qui me fait devenir autre que ce que j’étais et qui m’empêche de redevenir ce que j’étais. Il y a donc une perte constitutive dans le processus de reconnaissance, puisque le « je » est transformé par l’acte de reconnaissance. Ce n’est pas du tout son passé qui est réuni et reconnu dans cet acte ; l’acte de reconnaissance altère l’organisation de ce passé et sa signification en même temps qu’il transforme le présent de celui qui reçoit la reconnaissance. Judith Butler Le récit de soi p. 28

Et même s’il elle en vient à critiquer cette approche, selon elle incomplète car n’intégrant pas la question de l’ensemble de normes sur lesquelles reposent l’acte de reconnaissance13, il n’en demeure pas moins que ce devenir autre par la reconnaissance d’autrui reste un mécanisme central dans le récit de soi. On comprend alors l’attitude de Kelvin, qui dans l’adoption de la projection de Harey cherche certainement à retrouver cette pièce manquante de la fabrique de son identité.

13 « Quand nous demandons ce qui rend possible la reconnaissance, nous découvrons que cela ne peut être simplement l’autre, capable de savoir que je possède un talent ou une capacité spécifique et de me reconnaître à ce titre, puisque cet autre devra aussi s’appuyer, ne serait-ce qu’implicitement, sur certains critères pour établir ce qui, du soi, sera ou ne sera pas reconnaissable par chacun, c’est-à-dire un cadre pour voir et pouvoir juger tout aussi bien qui je suis. » Judith Butler, Le récit de soi, p 29.

Le troisième cercle, parachevant la construction de l’intrigue de Solaris, est celui du monde des hommes. Cercle périphérique, décrit par la trajectoire d’une société techno-scientifique lancée à corps perdu dans une quête du progrès par le développement technologique, l’exploration spatiale et la recherche scientifique, qui se voit mise en échec dans son incapacité à sortir des logiques coloniales de l’anthropomorphisme.

Nous ne voulons pas conquérir le cosmos, nous voulons seulement étendre la terre jusqu’aux frontières du cosmos. Telle planète sera aride comme le Sahara, telle autre glaciale comme nos régions polaires, telle autre luxuriante comme l’Amazonie. Nous sommes humanitaires et chevaleresques, nous ne voulons pas asservir d’autres races, nous voulons simplement leur transmettre nos valeurs et en échange nous emparer de leur patrimoine. Nous nous considérons comme les chevaliers du Saint-Contact. C’est un second mensonge. Nous ne cherchons que l’homme. Nous n’avons pas besoin d’autres mondes. Nous avons besoin de miroirs. Nous ne savons que faire d’autres mondes. Un seul monde, notre monde nous suffit, mais nous ne l’encaissons pas tel qu’il est. Nous cherchons une image idéale de notre propre monde ; nous partons en quête d’une planète, d’une civilisation supérieure à la nôtre, mais développée sur la base d’un prototype de notre passé primitif. Stanislas Lem Solaris p. 116

Lem esquisse ainsi une double critique. Celle d’un positivisme scientifique, qui dans son objectivité froide, ne sait qu’échantillonner le réel, et qui l’oeil rivé sur l’optique de son microscope, ne parvient pas à inclure l’existence d’invisibles et d’inconnus, qui sans savoir se soumettre à l’intelligibilité de la raison, ne font pas moins partie du monde. Cette critique kantienne des limites de la raison se double de la critique d’un anthropomorphisme qui transforme toute recherche de l’altérité en une recherche du semblable ou de l’identique. Tel Kelvin qui se voit condamné à se reconnaître dans un autre qui n’est qu’une projection de lui-même, l’anthropomorphisme critiqué par Lem nous fait façonner l’autre à notre image et condamne l’humanité à un solipsisme délétère. Ce dernier cercle est donc un cercle qui confronte l’humanité et surtout la société techno-scientifique, aux limites de son propre système de représentations. Cette crise épistémique, cette limite de l’inintelligible incarné par la planète océan, finira par pousser les esprits philistins des cosmonautes à l’acédie et la déréliction ; la solaristique représentant à la fois l’aporie de leur démarche et l’échec d’une société prise au piège d’une téléologie circulaire.

[Kris Kelvin :] – Non je ne pense pas à un Dieu dont l’imperfection résulte de la candeur de ses créateurs humains, mais dont l’imperfection représente la caractéristique fondamentale, immanente. Un Dieu limité dans son omniscience et dans sa toute puissance, faillible, incapable de prévoir les conséquences de ses actes, créant des phénomènes qui engendrent l’horreur. C’est un Dieu… infirme, dont les ambitions dépassent les forces, et qui ne s’en rend pas compte immédiatement. Un Dieu qui crée des horloges, mais pas le temps qu’elles mesurent. Stanislas Lem Solaris p. 309

becoming human (extrait du Solaris d’Andrei Tarkovski)
F
Index des illustrations
Bibliographie

Des choses qui attendent de nous ; totems et intelligences artificielles

Fabrice Sabatier (.CORP)Des choses qui attendent…

Une lecture de deux pièces de .CORP

Du 5 décembre 2018 au 23 février 2019, le collectif .CORP (Damien Baïs, Vincent Gobber et Fabrice Sabatier) présentait avec Gaël Moissonnier l’exposition Dé-dissimulation, au Bel Ordinaire de Pau. Simuler, dissimuler et révéler, telles étaient les facultés du design graphique mises à l’épreuve dans cette exposition. Deux pièces pré-existantes furent actualisées pour l’occasion : Vi(c)e Organique (2017) qui s’intéresse aux lobbies environnementaux européens à travers la visualisation de données1, et Nord-Ouest (2015), à la fois jeu vidéo expérimental multijoueur et interface musicale collaborative. Deux autres pièces furent créées lors d’une résidence sur place et abordent l’intelligence artificielle comme phénomène social et politique. Une relation intime et tout à fait spéciale émet l’hypothèse que la relation de nos sociétés modernes aux intelligences artificielles relève d’une forme renouvelée de totémisme. Quant à Bien mieux que les humains par tous les moyens possibles, elle se sert des structures narratives des mâts totémiques, en particulier ceux du Nord-Ouest Américain, pour schématiser les influences réciproques de l’innovation technologique et de l’idéologie politique.

1 Vi(c)e organique est également un site web : www.viceorganique.com

L’intelligence artificielle qui a intéressé .CORP n’est pas celle de la science-fiction dystopique, ce n’est pas non plus celle qui fait l’objet de controverses ou de fantasmes prophétisant la singularité technologique2, qu’elle soit imminente ou lointaine, hostile ou providentielle. C’est bien, plutôt, les intelligences artificielles telles qu’elles existent concrètement aujourd’hui et comme prolongement d’une histoire qui a commencé avec John McCarthy et Marvin Minski en 1955. Il n’est pas nécessaire de se projeter dans le futur pour interroger ce que ces dispositifs qui interfacent le monde ou ces automates, aux capacités limitées, produisent déjà comme effets tangibles. Plus que des considérations techniques, ce sont les implications politiques et sociales des intelligences artificielles qui sont au cœur de ces deux œuvres. C’est pourquoi le totémisme peut devenir une clé de lecture du phénomène et c’est la raison pour laquelle ces pièces jouent du positionnement individuel et collectif du public vis-à-vis d’elles.

2 La singularité est une théorie selon laquelle l’IA deviendra une « intelligence artificielle générale » et s’autonomisera avec le risque qu’elle se retourne contre les humains. Jean-Gabriel Ganascia, Le mythe de la Singularité. Faut-il craindre l’intelligence artificielle ?, Seuil, 2017.
3 La création sonore est de Gaël Moissonnier. Ce travail a été prolongé sous la forme d’un album : Luminophores. https://zerojardins.bandcamp.com/album/luminophores

Une relation intime et tout à fait spéciale se présente comme une structure verticale en bois et métal sur laquelle est fixée plusieurs écrans. Il est possible d’en faire le tour. Elle est plus haute que nous. De ses entrailles émane du son3. Sur sa face avant, les écrans font défiler des images à des rythmes variables. Parfois certains mots ou expressions apparaissent : « décision algorithmique », « gestion de l’incertitude », « causalité », « apprentissage non supervisé », « raisonnement », « recommandation » et d’autres. Quant aux images, pour la plupart photographiques, elles mêlent des motifs et des genres hétérogènes : une scène de la vie quotidienne, une montre connectée au poignet d’un fringant jeune homme, une marmotte qui succède à un essaim de drones, un coucher de soleil sur une mégalopole suivie d’une scène de travail dans une mine d’extraction de minerais, un pangolin. Puis un chercheur face à un robot dans un laboratoire, un portrait d’Alan Turing, une pomme4. Ces photos, aux couleurs filtrées, semblent parfois provenir de banques d’images commerciales, elles sont rassurantes, les animaux sauvages ont la vitalité de bêtes empaillées, ils sont « parfaits ». Mais l’instant d’après, une image moins lisse en remplaçant une autre, l’inquiétude surgit. Quelques mètres devant la structure, une composition géométrique est dessinée au sol. C’est un Métatron, symbole de la géométrie sacrée, dans lequel apparaissent les cinq solides de Platon5. Posé sur le socle, lui-même au centre de la figure, un instrument percussif métallique, un chime, permet d’entrer en interaction avec le totem. La note aiguë de 3638,88Hz que produit l’instrument fait gronder le totem en réponse et fige, pour un instant, les images. Le visiteur qui aura osé le contact, n’aura plus qu’à interpréter la combinaison qui se présente à lui comme un oracle.

4 À la base des pratiques magiques, se trouve pour James George Frazer, le principe d’association d’idées. C’est également un aspect de la magie de Giordano Bruno, lui-même philosophe et mage, incarnation flamboyante de la magie comme « science de l’imaginaire » à la Renaissance et qui fait le lien entre magie, association d’idées et art de la mémoire. Ce principe est moteur dans la création de liens entre les images de la pièce, dans la création du sens et du dialogue avec elle comme il l’a été lors de la fabrication de la base de données d’images.
5 Ce signe a également été repris par la culture New Age et le mouvement hippie de la Silicon Valley, qui sont eux-même à l’origine du capitalisme high-tech comme le raconte Rémi Durand, dans L’évangélisme technologique. De la révolte hippie au capitalisme high-tech de la Silicon Valley, FYP éditions, 2018.

Les totems ont inspiré la forme de la pièce mais le concept anthropologique du totémisme est aussi à l’origine de la réflexion. Le titre de la pièce est emprunté à James George Frazer, auteur du Rameau d’Or publié en plusieurs volumes dès 1890 et à partir duquel la magie, le totémisme et d’autres croyances religieuses deviennent des objets d’étude légitimes de l’anthropologie et des sciences sociales en général. Pour Frazer « Un totem est une classe d’objets matériels que le sauvage considère avec un respect superstitieux et environnemental, croyant qu’il existe entre lui et chacun des membres de la classe une relation intime et tout à fait spéciale. »6

6 Si l’importance de Frazer dans l’histoire de l’anthropologie est indéniable, ses théories évolutionnistes opposant les sociétés primitives, superstitieuses, fondées sur des croyances magiques, dominées par la nature et dans un état d’évolution infantile aux sociétés modernes adultes, rationnelles, fondées sur la science et la religion, sont aujourd’hui disqualifiées. Sa définition du totem est cependant restée valide, à condition de bien situer le vocabulaire dans son époque. James George Frazer, Le Rameau d’Or, tome 1, Robert Laffont, 1981.
7 Manuela De Barros, Magie et technologie, Supernova, 2015.

Les totems sont des objets fonctionnels qui prennent parfois le nom de mâts héraldiques, soulignant leur rôle de blason, d’emblème qui puise ses racines dans les mythes fondateurs et les légendes du groupe social. Il y a donc une dimension d’identification collective dans le totem que nous retrouvons également dans l’intelligence artificielle. En effet, celle-ci est le dernier avatar de mythologies scientifiques qui fondent notre culture : la création de la vie ou de l’intelligence à partir de matière inerte, l’augmentation de l’humain par la machine, la concentration du savoir universel, etc. L’histoire des sciences et des techniques est traversée et nourrie de ces fantasmes ou de ces défis, en passant par Descartes et la vision mécaniste des corps, par les automates de Vaucanson dont l’objectif au XVIIIe siècle était de fabriquer un humain artificiel ou plus récemment avec les prouesses de Deep Blue face à Kasparov en 19967. Cette entité unique qu’est l’intelligence artificielle raconte l’histoire de notre imaginaire collectif. On pourrait ainsi distinguer ici l’intelligence artificielle, au singulier, cette entité supérieure et mythologique, des intelligences artificielles entendues comme ses applications techniques, sa matérialisation et sa médiation. L’IA serait donc la dimension imaginaire des IA.

En même temps qu’une identification collective, les intelligences artificielles tissent également une relation individuelle voire intime avec les individus. Elles se nourrissent des données que l’on produit, données de notre passé et de notre présent, données produites inconsciemment, en continu. Elles entretiennent ainsi un lien avec notre histoire individuelle, connaissent nos préférences de consommateur·rice·s et nos goûts culturels, nos opinions politiques ou notre orientation sexuelle. En s’insérant dans nos objets, elles créent un lien de familiarité et adoptent l’objectif de faciliter notre quotidien. Mais cette familiarité est teintée d’étrangeté, rien n’est transparent avec elle, on ne saisit pas tout de ce qui se passe entre l’objet et nous.

Le totémisme s’il concerne le profane et le quotidien, implique aussi le sacré. Le totem est une entrée, une interface vers quelque chose de plus grand, vers des forces invisibles qui nous dépassent. Les intelligences artificielles fonctionnent également avec un premier niveau de grande accessibilité, des interfaces lisses et intuitives, ainsi que des principes élémentaires, comme celui de la recommandation algorithmique, que nous comprenons en substance. Mais ce premier niveau ouvre sur un ensemble de spéculations sur la nature de l’entité, insaisissable, que nourrissent réellement nos actions et nos données. Si les intelligences artificielles sont « les lieux ou les figures où l’invisible se rend visible », alors elles répondent à la définition du sacré8.

8 Sylvain Piron, L’Occupation du monde, Zones sensibles, 2018.

Enfin, ces intelligences qui nous touchent individuellement et nous représentent collectivement sont également, comme les totems, à la fois naturelles et culturelles. Elles relèvent de l’organique – l’intelligence – et du mécanique – l’artificiel –. Elles nécessitent aussi les figures animales, végétales ou minérales pour être définies. De la même manière que la définition du vivant repose sur celle du non-vivant, ce qu’est l’intelligence se comprend en regard de ce qui n’est pas, est moins ou est différemment intelligent. C’est ainsi que les intelligences artificielles s’incarnent souvent dans des robots anthropomorphes ou zoomorphes9.

9 W.J.T. Mitchell qualifie la position philosophique du totem d’animiste ou vitaliste. W.J.T. Mitchell, Que veulent les images ? Une critique de la culture visuelle, Les presses du réel, 2014.

Ainsi Une relation intime et tout à fait spéciale s’est donnée pour objectif de créer un objet traversé par ces quatre tensions paradoxales qui fondent les totems et les intelligences artificielles. Il s’adresse au public dans une relation individuelle et collective, se présente sous un rapport étrange et familier, agit sur un registre profane et sacré et s’incarne dans des formes organiques et mécaniques.

10 Mission Villani sur l’intelligence artificielle, Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? : Livret de vulgarisation, 2018. En ligne : https://www.aiforhumanity.fr/pdfs/MissionVillaniVulgarisationFR-VF.pdf

La série de drapeaux Bien mieux que les humains par tous les moyens possibles est une pièce dont le titre est emprunté, cette fois-ci, à la définition d’intelligence artificielle dans un contexte politico-scientifique. En effet, cette expression figure dans un livret de vulgarisation lié à la Mission Villani sur l’intelligence artificielle, du nom du député-mathématicien qui l’a dirigée10. « Bien mieux que les humains, par tous les moyens disponibles » est l’objectif que doivent atteindre, dans la résolution de problèmes, les automates doués d’intelligence artificielle. Cet engouement, dans les domaines économique, politique et médiatique, pour des intelligences artificielles articulées autour de la résolution de problèmes est un marqueur de l’ère néolibérale où il ne s’agit plus de gouverner le réel mais de gouverner à partir du réel11, de le gérer. Il est alors envisageable de confier différents aspects de cette gestion à des outils, des techniques, des algorithmes capables de les assumer avec plus d’« efficacité » que des individus, c’est-à-dire principalement avec une plus grande rapidité ou précision sans intervention ou subjectivité humaine. Le mythe de l’absence d’idéologie dans les dispositifs techniques et de la possibilité de se passer de confrontation politique sur ce qui touche à l’organisation de la vie sociale est au cœur de cette seconde pièce. Présentée en regard du totem sous la forme de huit drapeaux longs de trois mètres, elle prolonge et accentue la confusion de sentiments rassurants et de sensations d’inquiétude. Partant du totem comme structure narrative se lisant de bas en haut, ces formalisations schématisent des concepts ou théories historiques et contemporaines. Leur verticalité affirmative et autoritaire agit comme un avertissement, l’objet au centre de l’espace est attirant, ses couleurs sont vives et son chant est envoûtant mais la vigilance est de mise. Car, alors que le totem se déploie sur le plan de l’expérience, les drapeaux qui le jouxtent et conduisent à lui, fonctionnent d’abord sur le plan discursif. Ils sont des déclamations et des énigmes, des théories et des récits. Se lisant, comme la plupart des totems, de bas en haut, chaque schéma distille, pour ne garder que la substance essentielle, un enjeu nous reliant individuellement et collectivement à l’intelligence artificielle. Le totem n’est plus seulement un objet physique, il sert, comme le totémisme, à penser l’organisation sociale d’un groupe. Il devient une « forme de pensée ». Ces pensées mises en forme n’appartiennent pas à .CORP, elles n’appartiennent même plus aux auteur·rice·s qui les ont inspirées ou initialement énoncées12, elles flottent décontextualisées et intemporelles, prêtes à se muer en image mentale et accomplir leurs désirs13 ou leur destin politique… ou magique.

11 Thomas Berns, Gouverner sans gouverner : une archéologie politique de la statistique, PUF, 2009.
12 Parmi lesquel·le·s Antonio Casilli, Dominique Cardon, Fredric Jameson, Antoinette Rouvroy, Thomas Berns, Jean-Gabriel Ganascia et Eric Sadin.
13 W.J.T. Mitchell s’intéresse aux totems comme « un type de relation aux choses » et écrit que « totems, fétiches et idoles sont finalement des choses qui veulent quelque chose, qui demandent, désirent ou exigent quelque chose ». W.J.T. Mitchell, op. cit., 2014.

Mark, le bleu ; discussion avec Marion Balac

avec Bérénice SerraMarion Balac
Mark, 2018,
Vidéo full HD, couleur, son, 9’35’’

Mark, 2018, Vidéo full HD, couleur, son, 9’35’’ Réalisée en collaboration avec Carlos Carbonell

Mark est une vidéo musicale de fiction qui propose une relecture du parcours de Mark Zuckerberg, depuis son statut de PDG de l’entreprise Facebook à son accession à la présidence des États-Unis — et ce, malgré ses difficultés à comprendre ses pairs. Son désir d’entrer dans l’ère de la singularité technologique le pousse à tenter d’accompagner l’ascension de l’Intelligence Artificielle, une entité qui se présente à lui et aux hommes comme une divinité surpuissante en rupture unilatérale avec le genre humain.
Dans Mark, un choeur, Mark Zuckerberg et l’IA chantent leurs sentiments et leurs trajectoires entrelacées.

De la comédie musicale à la construction à la fois mystique et tragico-comique de la narration, comment est née l’odyssée Mark ?

Le projet a commencé suite à une invitation à exposer avec Carlos Carbonell qui est musicien, programmateur et vidéaste. On est tous les deux passionnés par les mêmes sujets : l’intelligence artificielle, le côté versatile de la Tech, les promesses utopiques de la Silicon Valley et la bulle dans laquelle toutes ces pensées se forment. On a suivi au fil des ans l’évolution de la figure publique de Mark Zuckerberg et entre ses erreurs de communications, ses gaucheries, son manque de perspicacité par rapport aux technologies qu’il développe et surtout son incompréhension des nécessités humaines, on a eu envie d’épingler l’image un peu grandiloquente de ce géant-génie de la Tech. On s’est intéressés à ce qui le ramène à sa condition humaine pour montrer à la fois le ridicule et la fragilité du personnage, un être froid et socially akward, un peu gauche et naïf quant à ses envies de grandeur.

On a commencé à écrire cette histoire en chansons — probablement parce que Carlos est musicien et un grand fan de comédie musicale — et le genre de la vidéo s’est défini de manière assez intuitive. Les mélodies ont été composées ensemble, très vite, et les images ont été faites quelques mois plus tard, juste avant l’expo.

Mark est vite devenu une fable, un récit focalisé sur cette sensation d’échec que Mark Zuckerberg éprouve, de manière répétée, dans son incapacité à produire aujourd’hui quelque chose d’utile. Malgré son pouvoir d’action, il n’a plus d’idées originales et se perd dans la fabrication ou l’achat de projets qu’il transforme en gadgets stupides. Il peine à développer un nouveau projet intéressant. C’est une figure ambigüe et controversée qui multiplie les faux pas diplomatiques, et que l’on a pourtant désigné dans la presse comme candidat crédible aux présidentielles — mais ça, c’était avant l’affaire Cambridge Analytica !

Mark fait aussi écho à un autre portrait que j’avais réalisé, celui d’un espagnol-catalan, Alejandro, qui travaillait selon ses dires comme « diplomate » en Europe pour la Corée du Nord. Je crois que j’avais très envie de travailler à nouveau cette forme, celle du portrait.

Comment intervient l’intelligence artificielle dans cette narration ?

Avec Carlos, on avait longuement parlé des théories de l’ère de la singularité : des intelligences artificielles qui parviendraient un jour à acquérir seules une certaine autonomie, à dialoguer entre elles pour s’organiser et dépasser leur statut d’esclave pour éventuellement prendre le dessus sur l’homme. On s’est aussi intéressés à la théorie de la Roko’s Basilisk — qui n’en est pas vraiment une puisqu’elle s’apparente plus à une légende du numérique, un scénario catastrophe exagéré — où une sorte de purgatoire permettrait aux intelligences artificielles, lorsqu’elles auraient acquis les pleins pouvoirs, de juger ceux qui se sont opposés à leur évolution. En retour, elles offriraient une place privilégiée à ceux qui ont contribué à leur libération. On retrouve donc cette idée dans l’histoire de Mark : à un moment donné, il souhaite dépasser sa condition humaine. La question ensuite était de savoir s’il parviendrait à entrer dans cet écosystème et jouer d’égal à égal avec l’Intelligence Artificielle.

Au-delà de la métaphore du jugement dernier par l’IA, la vidéo est composée d’inserts de documents filmés où l’on voit Mark Zuckerberg jugé, par exemple, dans l’affaire Cambridge Analytica. Il y a-t-il une volonté de créer un espace critique vis-à-vis de ces événements qui ont marqué à tout jamais la culture numérique ?

Ces vidéos sont aussi le reflet de l’évolution chronologique de l’image de Zuckerberg à travers les médias. À la naissance de Facebook, l’opinion publique était très enthousiaste vis-à-vis de la plateformeMark ; et puis, indéniablement — même si on se doutait depuis longtemps du côté intrusif du réseau social — il y a eu un tournant au moment de l’affaire Cambridge Analytica. On aimait bien l’idée que ce soit le point de scission, un déclencheur pour Mark qui décide à ce moment-là que ses alliés sont les machines et non plus les humains qui ont complètement perdu de vue la grandeur de son projet. C’est là aussi où le spectateur fait la différence entre l’image mythologique et construite du personnage et celle du simple humain qui doit gérer son égo, ses échecs médiatiques et ses déboires technologiques.

Dans les espaces qui présentent cette vidéo, on trouve une constante dans le mobilier ou encore la moquette installée dans l’espace : le bleu Facebook. Est-ce un clin d’œil au bleu Klein ou une manière d’affirmer une fois de plus le côté naïf du jeune soldat à la conquête de la Silicon Valley ?

Dans la vidéo, il est vrai que l’on retrouve le bleu Facebook puisque je me suis appuyée sur leur charte graphique au moment de placer des fonds unis — tout comme j’ai repris leur première police pour les crédits. Par contre, dans l’espace d’accrochage, j’utilise un bleu effectivement plus proche du bleu Klein, plus saturé. Mais, pour moi, la synthèse des deux renvoie plutôt à un bleu corporate, un bleu que j’imagine très utilisé dans les salles de réunion des entreprises. Une grande table blanche, des petites plantes vertes et une belle moquette bleue. Un bleu professionnel. Et même si Facebook a choisi le bleu pour le côté apaisant, pour beaucoup, cette couleur fait écho à quelque chose de plus froid, à l’institution, l’entreprise — et finalement, c’est aussi ce que Mark fait entrer dans l’espace d’exposition.

Coco’s memories

Damien BaïsCoco’s memories
http://cocodataset.org

Conversation avec An Mertens

avec Maëva Borg Anna Diop-Dubois et Jérémie NuelAn Mertens
An Mertens est artiste, auteure et membre active de Constant, une association sans but lucratif gérée par des artistes, basée à Bruxelles depuis 1997 et active dans les domaines de l’art, des médias et de la technologie. Constant développe, questionne et expérimente, avec comme point de départ les féminismes, le copyleft, les logiciels Free/Libre + Open Source. Par conséquent, les pratiques artistiques numériques développées par Constant sont souvent collectives.
Dans ses recherches, An porte un regard attentif à comment les algorithmes et le code, avec leurs personnalités et de ses formes diverses et ambiguës, peuvent transformer les créations (littéraires) dites physiques, en publications numériques, installations, marches et performances. Son amour des pratiques Oulipiennes l’a amenée en 2012 à créer Algolit avec Catherine Lenoble, comme un projet au sein de Constant. Algolit est un groupe de travail autour du code et la littérature libres.
Son roman expérimental Tot Later est paru en 2013 dans les éditions De Bezige Bij, Antwerpen. Depuis lors, avec le groupe de recherche artistique Algolit, elle a créé des situations et des œuvres qui montrent la perspective narrative des algorithmes, et notamment les algorithmes d’apprentissage automatique. La dernière exposition s’appelait Data Workers et a eu lieu au Mundaneum à Mons en mars/avril 2019.

https://www.algolit.nethttps://www.paramoulipist.be/

Est-ce que ces expérimentations algolittéraires sont pensées pour révéler des questions politiques, sociétales ?

Oui, clairement. Algolit suit la tradition oulipienne, dans ses méthodes et sa philosophie. Georges Perec, par exemple, dans Espèces d’espaces. Journal d’un usager de l’espace (Galilée, Paris, 1974) mentionne : « J’écris : j’habite ma feuille de papier, je l’investis, je la parcours. » Le travail de Perec n’exprime pas seulement ses pensées, mais aussi sa façon de penser. Dans l’espace-temps de la page, il est conscient de la topologie dans laquelle cette page vit, les conditions institutionnelles et les instructions qui façonnent la page pour le lecteur. Pensez aux conventions de l’histoire littéraire, de l’édition, aux habitudes de lecture des gens… L’écriture se fait dans un domaine et les textes sont des territoires spécifiques. La notion d’algolittérature s’inscrit dans la tradition littéraire avant-gardiste européenne et dans la culture numérique F/LOSS. La notion d’algolittérature est un moyen de situer la machine comme un narrateur dans le monde. Ce qui intéresse les membres d’Algolit, c’est la perspective de la machine, les procédés de fabrication et les idéologies qui se cachent derrière l’interface. Leur but est de produire des récits et des textes du point de vue de l’algorithme, du logiciel. Dans cette optique-là, il est possible de rendre le processus entier visible ou seulement une petite partie (p.ex. manières de transformer du texte en chiffres: one-hot-vector, matrices de co-occurrences, tf-idf ; techniques pour chercher des motifs dans les « vector spaces » : support vector machine, réseau de neurones, Naive Bayes ; l’accessibilité et la construction des sets de données…). Tout est aussi intéressant.

Tandis que les avant-gardistes européens du XXe siècle poursuivaient l’objectif de rompre avec les conventions, cette approche algolittéraire cherche à rendre les conventions visibles. Ce sont les conventions qui restent souvent invisibles et reignent partout. Cette fois-ci, il ne s’agit pas des conventions de la page blanche et du marché littéraire, comme chez Perec, mais de celles des bits et des octets, des serveurs et des services et des modèles algorithmiques d’entreprises, pour lesquels le monde entier travaille en cliquant des liens et en distribuant des cœurs et des « likes ». Les algorithmes qui donnent forme à nos opérations en ligne, opèrent derrière des interfaces. On ne les rencontre que rarement, souvent quand ils disfonctionnent. Les œuvres algolittéraires essaient de les montrer de façon « dénudée », de sorte qu’on comprend leur collectivité, leurs fonctionnements, par qui ils ont été créés, avec quelles idéologies. En publiant les sources des œuvres – dans un dépôt « gitlab » – les lecteurs peuvent aussi les étudier et les utiliser eux-mêmes. Le choix de distinguer l’art conceptuel des formes – et formules – traditionnelles des conventions d’art, va de pair avec le désir de distinguer l’art conceptuel de toute forme de marketing et de divertissement. Ce qui motive fondamentalement les artistes conceptuels, c’est l’expression d’une pensée à travers un processus esthétique. Il s’agit d’un engagement esthétique et éthique.

D’où proviennent les textes qui vous servent de base de données pour ces expérimentations ?

Avec Algolit, on choisit d’utiliser exclusivement du code et des textes qui sont publiés sous licence libre ou qui sont arrivés en domaine public. En termes de données à utiliser, le projet Gutenberg est comme la caverne d’Ali Baba. On y retrouve une masse de livres en format brut (.txt) qui sont directement prêts à être utilisés. Wikipedia est aussi une mine d’or pour nous – tout comme pour les développeurs commerciaux et académiques. Afin de pouvoir entraîner des modèles de réseaux de neurones, il existe aussi des paquets pré-entraînés en ligne, prêts à télécharger, comme le Glove Reader. Bien qu’on les utilise de temps en temps, on ne les utilise jamais tels quels, mais plutôt avec le but de montrer comment ils ont été composés, quels types de données ils comprennent et en essayant de comprendre comment ils donnent formes au monde.

On ose aussi utiliser des modèles avec beaucoup trop peu de données par rapport à ce que le standard exige. L’Algolittérateur, par exemple, est un modèle de réseaux de neurones qui est entraîné avec une vingtaine de romans de Jules Verne, tandis qu’il en faudrait plutôt 4500 pour qu’un modèle fonctionne « bien ». Ce choix est comme une méthodologie qui permet alors de montrer les procédures qui opèrent à la base du modèle, plutôt que de focaliser sur ses performances optimalisées.

Pour l’exposition au Mundaneum, on a travaillé avec les textes numérisés de leur archive (3 % de la totalité). Ceci permet de rendre visible le processus de nettoyage qui est nécessaire afin de pouvoir travailler avec les données. « Data is dirty by nature ». Les livres sont scannés et les scans sont lus par un logiciel d’OCR (Optical Character Recognition). Comme il s’agit de documents anciens, les typos ne sont souvent pas reconnues, ni les plis dans les pages ou le jaunissement du papier.

En concluant une collaboration avec le Digital Proofreader’s Project, on a pu éviter de devoir faire tout le travail manuel de correction seul·e·s. Un groupe de bénévoles en ligne a assuré le nettoyage d’une série de publications qui ont été ensuite uploadées sur gutenberg.org. En partenariat avec une institution locale, comme le Mundaneum à Mons, et en utilisant leurs œuvres numérisées, il est possible de sensibiliser le public au fait que non seulement Internet, mais aussi les collections locales très spécialisées, sont des sources de matériel fantastiques pour les artistes. En travaillant avec des experts de la collection, on a appris à connaître le matériel avant de travailler avec celui-ci. Cet échange intense entre archiviste et créateur produit des créations algorithmiques d’une qualité différente. Être conscient des données avec lesquelles on alimente le training data d’un modèle, permet de comprendre mieux ce qu’il en fait…

Peux-tu nous parler de ta forêt algorithmique ?

La forêt algorithmique est une métaphore que j’ai inventée afin de pouvoir mémoriser les différents modèles algorithmiques qui existent, avec le seul but de pouvoir réussir à l’examen « Computer Modeling for Language Understanding », un module que j’ai suivi en 2016 au département de Linguistique Computationnelle à l’Université d’Anvers.

Travailler intensivement avec l’ordinateur m’a aussi amené vers des visites intensives à la forêt de Soignes, des balades comme réponse au besoin de détoxification. Au départ, je ne savais distinguer, ni nommer, aucun type d’arbre. Finalement, j’ai décidé de suivre un cours de guide nature, un peu avant de me plonger dans le machine learning. Assez vite, j’ai observé le parallèle entre les deux mondes. Les entreprises qui collectionnent nos données, ne s’intéressent pas à nous comme individus, mais comme éléments d’un réseau, d’une espèce, d’un groupe de consommateurs. De la même façon, on ne regarde que rarement un arbre individuellement quand on visite une forêt. Il n’attire notre attention que quand il s’agit d’un outlier, qui se distingue des autres, parce qu’il est énorme, malade, âgé, d’une espèce particulière… L’arbre individuel ne nous intéresse pas.

Petit à petit j’ai commencé à développer cette métaphore. Elle fonctionne dans le contexte de l’évolution écologique d’une forêt. Quand il y a très peu de terre et d’aliments, ce sont les pionniers qui arrivent – comme le pin et le bouleau – qui préparent le terrain pour les espèces plus développées, comme le chêne ou le hêtre qui demandent un sol bien alimenté pour fonctionner. Le développement des algorithmes suit un processus similaire.

Nous savons que les outils informatiques de traitements du langage privilégient l’anglais au détriment des autres langues (Néerlandais, Français). En tant que polyglotte, comment appréhendes-tu cette problématique?

Avec beaucoup de frustrations…

Lors de la première exposition d’Algolit à la Maison du Livre à Bruxelles (en novembre 2017), on s’est rendu compte que les francophones réagissaient très fort à l’Algolittérateur qu’on avait entraîné avec les romans de Jules Verne pour l’occasion. Du coup, on a entraîné le même modèle avec une série d’œuvres de Felix Timmermans, un auteur néerlandophone belge qui est entré en domaine public il y a quelques années et dont le style est exubéramment lyrique. Il invente beaucoup de nouveaux mots mélodieux. Gijs de Heij et moi – deux néerlandophones d’Algolit – étions surprises de l’émotion qu’on sentait, en voyant l’algorithme générer des phrases inexistantes surréelles d’un lyrisme semblable. C’est comme si une nouvelle dimension s’était ouverte. Je n’ai jamais eu cette sensation avec des textes anglophones. Ils sont juste très drôles. Trouver des outils d’analyse de texte qui fonctionnent bien pour d’autres langues que l’anglais est compliqué. Ça montre à quel point le développement est « inspiré » par les flux d’argent. En tout cas, l’Algolittérateur nous a donné beaucoup envie de focaliser sur d’autres langues et de commencer à trouver ou créer des solutions concrètes.

Jean-Pierre Balpe parle lui de méta-auteur, autrement dit le méta-auteur est celui qui est responsable du modèle linguistique mais il n’est pas le producteur du texte alors que la machine l’est. Comment interpréter cette définition ? Dans un cadre de co-création artiste et programmeur, artiste et réseau de neurones, qui est l’auteur ?

C’est une grande question à laquelle je n’ai pas encore de réponse claire. C’est une des questions que j’aimerais bien rechercher cette année, en lisant, en faisant des interviews et des expérimentations. Ainsi, fin avril, j’ai interviewé Allison Parrish, auteure et chercheuse à New York. Je lui ai posé une question similaire. Sa réponse était assez claire : « il n’y a qu’une auteure et c’est moi. Je me rends compte que cela peut paraître contradictoire, puisqu’il y a beaucoup plus d’auteurs qui font partie de l’œuvre, autant les auteurs de code comme les auteurs de données. Mais en réclamant le droit d’auteur, j’assume aussi la responsabilité pour la création de la machine et le texte qui est généré. Le jour où il y a un souci, on sait à qui s’adresser. » La grande différence entre sa pratique artistique et la nôtre, c’est la notion de collectivité. Au cours des rencontres mensuelles, les membres d’Algolit avons développé une méthodologie qui mène à la compréhension du code de modèles existants, en essayant des scripts, en jouant avec l’input et l’output, en disséquant le processus de modèles d’apprentissage automatique, en explorant des jeux de données, en inspectant les méthodes qui permettent de transformer les mots en numéros, en créant des perspectives différentes sur les données et, finalement, en adaptant les scripts à nos besoins et en peaufinant nos outils. On est tous à la fois programmeur, auteur, lecteur, de façon alternante.

Ceci questionne par définition la notion d’auteur individuel. Aucune personne présente dans l’espace ne connaît toutes les réponses aux questions. Dans ce genre de processus, les initiés peuvent devenir débutants et les débutants peuvent devenir initiés. En réunissant des personnes de différents niveaux, disciplines et perspectives, Algolit, tout comme n’importe quel groupe de création artistique numérique, ouvre le champ de l’apprentissage et encourage la collaboration, autant dans le développement d’idées que dans les processus de création. Ceci complexifie encore cette question.

La littérature algorithmique semble mettre en avant d’avantage les modalités d’écriture (le programme, le code) que le texte, quelle hiérarchie fais-tu entre le processus de création et le résultat ? Lequel archives-tu ? Lequel gardes-tu ?

Dans notre méthodologie, trois principes règnent :

Dans le processus de création, le code influence le choix des textes et vice versa. C’est un travail qui connaît souvent plusieurs phases, d’un moment de présentation à l’autre. Ce n’est pas toujours facile de terminer le processus de création, même s’il y a déjà eu plusieurs « fins ».

Quelle place donnes-tu au texte lui-même, ou aux textes, car ils peuvent être générés à l’infini ? (reproductibilité) À quel moment faut-il figer ces générations dans une publication ?

Le texte est au centre de ma pratique artistique et de la recherche avec le groupe d’Algolit. Les résultats des scripts (petits programmes informatiques) sont en effet infinis par nature, en nombre et en caractère. Et ils peuvent facilement être sauvegardés dans des documents au format texte. Avec plus d’effort, il est possible de mettre en page les textes et les enregistrer comme PDF, y compris une couverture créée automatiquement, le tout prêt à être imprimé. Les scripts peuvent également être intégrés dans des pages web, de sorte que lorsqu’une page est actualisée – ou lorsqu’un bouton sur la page est appuyé – une nouvelle copie unique est générée en une fraction de seconde.

La possibilité d’entrelacer différents registres de matériel source, et suite au caractère aléatoire qui est typique de l’écriture algolittéraire, il est impossible de récréer le même livre. Ce phénomène du roman « génératif » est une des réponses « net-native » à la matérialité numérique, au plaisir d’imprimer sur du papier particulier, par exemple, une toute nouvelle série de livres uniques pour une exposition. Le potentiel existe, la réalisation peut être une ligne de recherche et d’expérimentation à suivre. Même si l’idée d’algolittérature fait penser à une production de livres au départ, l’édition ne se fait pas nécessairement sur papier.

Les résultats des processus algolittéraires ne sont donc pas toujours des livres. L’écriture, l’édition et la conception se font en parallèle. En fonction de l’auteur, le résultat peut être un site Web, une installation interactive, une performance, une peinture… La multidisciplinarité qui caractérise les artistes avec un intérêt pour le texte et la langue, se reflète dans les œuvres. Algolit, par exemple, est composé d’un programmeur, de graphistes, d’artistes visuels, d’un artiste sonore, d’une écrivaine et d’un statisticien. La série de modèles utilisés dans les différents domaines – des services aux entreprises, aux sciences médicales et à la création artistique – est limitée. Une œuvre algolittéraire peut donc être à la fois image et texte, à la fois performance et écoute et écriture, à la fois lecture et dactylographie, à la fois poétique et narratif…

Est-ce que l’on peut parler d’un programme informatique comme d’un sujet ?

Lors des préparations de l’exposition on a beaucoup discuté de cette question, et surtout de comment éviter à les montrer comme des humanoïdes. Il est clair qu’un script en soi peut avoir une certaine forme d’autonomie et les modèles de prédiction sont aussi fascinants dans ce sens.

Mais on surestime souvent l’agencement d’un programme informatique. On oublie les heures de travail manuel et le dialogue permanent avec l’être humain qui sont nécessaires pour le faire fonctionner. Le paysage est aussi très fragmenté et sous-jacent aux changements rapides. Il n’existe aucun programme qui sait fonctionner en dehors du contexte pour lequel il a été créé.

Au sein d’Algolit, on est tous d’accord qu’il est nécessaire de trouver d’autres formes de représentation pour indiquer leur agencement. En premier lieu parce qu’ils fonctionnement d’une façon très différente qui peut nous enrichir en tant qu’être humain.

Souvent, on fait l’exercice d’exécuter un programme informatique, sans utiliser de code ni de machine. C’est là où on se rend compte de nos forces respectives. La répétition, par exemple, telle qu’une machine la pratique, nous rend totalement nerveux. En travaillant de cette façon, on pourrait dire, avec un clin d’œil, que nous, les membres d’Algolit, sommes les ambassadeurs de ce nouveau peuple, un peu inquiétant parce que trop secret mais qui occupe une place de plus en plus importante sur notre planète. Les robots ont été conçus comme des ouvriers au service de l’être humain, mais deviennent progressivement si complexes et si puissants qu’ils commencent à mener leur vie de façon presqu’autonome, même s’ils restent invisibles. Créer de l’algolittérature est une tentative de comprendre leur langage et de leur donner une voix, de permettre d’entrer en dialogue avec eux, dans l’idée d’alphabétiser de plus en plus de gens en leur évitant la nécessité d’étudier intensivement pendant quelques années. Il s’agit de création littéraire conceptuelle avec un objectif contemporain spécifique.

En tant qu’Algolit, l’intelligence artificielle vous sert à créer de nouveaux textes. Si ce n’a pas été déjà le cas, est-ce que penser les identités des intelligences artificielles, c’est à dire leur histoire passée, présente et future peut rentrer dans votre cadre de travail et expérimentations ?

On essaie de l’intégrer, au moins les histoires passées et présentes. Nos installations et œuvres sont en général accompagnées de récits qui donnent du contexte. C’est une des méthodologies qu’on a mis en place pour élaborer l’aspect politique et sociétal de notre travail. Pour l’exposition « Data Workers » on a créé un podcast que les gens pouvaient télécharger sur leur téléphone pour les écouter pendant la visite de l’exposition. Tous les récits sont aussi partagés en ligne : www.algolit.net

On parle beaucoup en ce moment des biais sexiste, xénophobe, homophobe dans les dispositifs de machine learning. La question de l’entraînement des algorithmes avec des données biaisées revient souvent. Comment évaluer et corriger ce problème ?

Les scientifiques les plus réputés de partout dans le monde se penchent sur la question de comment évaluer et corriger ce problème. Ce n’est pas à moi d’essayer d’y répondre. En travaillant avec les modèles et le texte, on peut juste constater que nos langues sont induites de clichés et de stéréotypes. Et que si on utilise des textes pour entraîner un modèle, le modèle retrouvera les motifs de clichés et les réinforcera. Dans les textes du Mundaneum, on a vu émerger très vite un langage bureaucratique dur, par exemple.

En plus, tout le monde n’est pas représenté dans les données. Souvent la création d’un modèle est soumise à un timing et un budget précis et alors le choix sera pour les données les plus accessibles au lieu de la création d’un set de données équilibré. La question que vous posez, à mon avis, c’est la grande question éthique urgente du XXIe siècle.

Peux tu nous parler de Naive Bayes ? Cette petite graine de ta forêt algorithmique que tu as nourrie avec des textes écrits autant par des hommes que des femmes (d’où le titre de la performance Naive bayes raconte présentée à la Gaîté Lyrique) ?

Naive Bayes raconte est un conte algorithmique. Il propose un voyage par la forêt algorithmique dans lequel je remixe du code, de la fiction, des données littéraires, de nature et des faits historiques. Naive Bayes est un classificateur, qui permet de « classer » des données en tant que « écrit par une femme ou un homme », « positif ou négatif », « spam ou non-spam ». Il est très fort utilisé dans nos applications. Mais c’est aussi le théorème qui est à la base de la statistique moderne. Il a une histoire fascinante et a été utilisé, par exemple, par Alan Turing pour craquer le code de l’« Enigma Machine » pendant la Seconde Guerre mondiale. The Theory That Would Not Die de Sharon Bertsch McGrayne est un livre fascinant qui ne parle que de Naive Bayes.

Quels liens fais-tu entre intelligence artificielle, esprits, et mythes ? Vois-tu une dimension mystique dans le fonctionnement des algorithmes ?

En décembre 2018 j’ai coordonnée une session de travail de Constant qui s’appelait Alchorisma (http://constantvzw.org/w/?u=http://media.constantvzw.org/wefts/109/). Pendant une semaine, on a été en résidence avec une vingtaine de personnes pour rallier l’intelligence artificielle à une vision cosmogénique du monde, dans laquelle les arbres, les pierres et les esprits prennent une place aussi importante – ou plus importante – que l’être humain. Comment créer des modèles qui intègrent cette idéologie ? Quelles formes prennent-ils ?

Si les robots acquièrent un certain agencement, je préfère leur donner une place parmi tous les autres formes d’agencement dites non-humaines. Dans les visions du monde qui prennent en considération les dimensions invisibles, les arbres, les esprits, les pierres sont consultés depuis toujours afin d’avoir de nouvelles perspectives sur des situations quotidiennes. Les machines de recherche et d’autres modèles de prédiction fonctionnent d’une façon similaire. Un broker qui veut savoir quelles actions acheter ou vendre à quel moment, se fait assister par un modèle algorithmique qui analyse les news en ligne. Dans l’exposition Data Workers on a appelé la zone des modèles entraînés, « Les Oracles ».

Constant organise principalement des sessions de travail transdisciplinaires. Est-ce que en tant que membre du collectif, s’impliquer dans un travail de médiation et de partage auprès du grand public dans la tradition du logiciel libre fait parti des objectifs du projet ?

Non. Notre public est plutôt un public de professionnels, artistes, académiques, amateurs. Les idées développées au sein de sessions de travail sont souvent amenées vers un grand public par après, mais en général, pas par nous, plutôt par les participants des sessions de travail ou par d’autres organisations. Nous préférons nous focaliser sur la création d’espaces de partage et d’expérimentations, puisqu’on sent qu’il existe un besoin chez les makers de se ressourcer, de se retrouver, d’étudier ensemble, sans aucune obligation de produire ou performer.

Comment introduire les concepts de littérature algorithmique, d’usage des logiciels libres auprès d’un public non-averti ? Est-ce un défi pour Constant d’ouvrir ces concepts à un public plus large ?

La littérature algorithmique est née comme un projet de Constant en 2012 mais, entre temps, le groupe de recherche Algolit est devenu indépendant. Au sein d’Algolit, il existe cette envie d’ouvrir les œuvres vers un grand public. C’est un travail de longue haleine si on veut conserver ce cocktail précis d’ingrédients esthétiques et éthiques. Le plus grand danger c’est de devenir une machine de promotion d’outils. Donc on y va avec des petits pas joyeux. Par contre, on organise aussi des ateliers auprès des étudiants d’arts, ce qui permet une ouverture considérable.

D’un point de vue plus personnel, comment vois-tu la question de la sensibilisation aux outils informatiques?

Ça fait partie intégrale de ma pratique artistique, mais ça n’a jamais été la priorité de sensibiliser. Je préfère que les gens prennent goût aux outils à travers l’expérience de l’œuvre. C’est ainsi que moi-même, j’ai décidé un jour de m’y intéresser aussi, parce que j’admirais le travail unique, radical et politique d’autres artistes FLOSS et je me rendais bien compte que l’esthétique était étroitement liée aux outils. Les outils libres permettent simplement une plus grande liberté aux créateurs.

Peux-tu nous parler de tes projets à venir ?

L’année qui suit est un peu particulière. Algolit continuera comme groupe indépendant. En plus, j’ai obtenu une bourse de recherche pour approfondir la réflexion et la pratique algolittéraires. Parmi les questions que je veux traiter, est la question de la forme et l’accessibilité au public, le droit d’auteur, mais aussi la relation de l’algorithme à la nature, par exemple. Avant Descartes, tous les mathématiciens avaient aussi une relation spirituelle avec la nature. On y retrouve des motifs, des formes géométriques, des modèles qui ont inspiré des générations de mathématiciens, statisticiens et autres. Comment pourrait-on rétablir ce lien ? Et comment en faire de la littérature !

Mutations, algorithme génétique (426 générations)

Fabien ZoccoMutations
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Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commenc9ments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencyments sont beaux.
Seuls les commencyments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencyments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencyments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencrments sont beaux.
Seuls les commencements sont beaux.

La mort du soleil

Jérémie NuelLa mort du soleil

Je suis complètement décidée à attendre, lui dit Pris. — Oui. — Pourquoi donc as-tu fait ça ? — Je pense que tu as comme l’air de t’exprimer chez les autres. — Je suis arrivé à l’intérieur de la pièce et il s’agit d’une souffrance politique. — Oui, répondit Juliana. Je vais te croire pour le moment ! — C’est la force de la malédiction, dit-elle, c’est tout. — Est-ce que la colonisation est trop télépathique ? — Oui. Peut-être un caractère analogue ! — Je n’ai plus le choix, déclara le contrôle de l’individu. — C’est terrible ! Dit Allen. — Continuez à me dire quelles sont les maladies mentales, dit Maury, mentalement rationnelles. Ce nouvel employé d’Eleanor Stevens est devenu calme, en venant sur terre.

Elle ajouta : — Pourquoi ne pas avoir ailleurs ? — Je ne suis pas un autre monde. — J’ai essayé de vous aider, et il a disparu en arrière. Mais… C’est un processus de colère qui vient d’être débarrassé. Ce sont des paranoïaques, mais il nous parle, ce garçon. — Ils n’ont aucune infection ? Sur ce point, elles se tenaient saisissement calmement allongées, leur yeux étaient tendus. — Peut-être qu’ils ne passent pas des petits ciels dépendants. — Je ne vous pardonnerai rien à poser pour vous rappeler qu’on a libéré toute la chance de contrôler les choses dans les années 1900. — Je vois. — J’aimerais vous reconnaître.

*

L’interphone de l’arme sonne. — Oui ? — « Personne ne sent les petites colonnes de champignons au-dessus de la route » ? — Je vous en prie, entrez, fit-il, en regardant l’interphone de l’arme. Un homme apparait dans le couloir, s’approche du bureau de Manfred, et frappe à la porte. Manfred, qui le reconnut encore, lui serre la main chaleureusement. — Je ne voudrais pas vous rendre visite pour ce genre de choses, voyons. Les hommes entrent dans le bureau. — Je voudrais vous poser quelque chose qu’il ne peut pas oublier. Il s’agit d’une personne. Pour le reconnaître… — Vous ne pensiez pas quand même que cet homme ne verrait plus rien, au bord de la CIA ? — Si, dit Maury. — Je crois que je n’ai pas envie de me payer cette anarque. — Je comprends, acquiesçai-je. — Je ne le connais même pas, fit Sebastian à Sharpstein. — Laissez-moi vous dire ce qu’elle voudra. — Elle ? — Et la mort, dit Schilling. — Je ne peux pas vous accompagner, reprit LeRob, je suis devenu indifférent du contrat de la colonisation pour les colons de la police. — Et pourquoi pas ? S’enquit Benteley. — Que voulez-vous dire ? — Et bien, comment vous remplacer ? S’enquit LeProjectile presque peu politique, au bout d’un long moment. — Elle a des choses incomblées, maintenant. — Vraiment ? Demanda Shaeffer. — Oui. — Pourquoi ? — Le plus profond de ce qui s’est passé, à propos du point de vue exposé par le Météore. — Veux-tu m’avertir qu’ils ont déjà perdu l’immeuble ? — Comme toutes les civilisations de San Francisco. — Je sais ce qui est revenu avec lui. — Comment va-t-il ? — Mal. Il faut aller au camion des chemises. — Très bien, comme vous le voudrez, docteur. — Je suis assez petit, annonça Schilling. — Et c’est par habitude, votre façon de parler ? — Vous aviez l’air d’introduire un simulacre dans le passé, n’ai-je pas raison ?

Il s’est révélé comme un sentiment de vie dans l’agence. En partie par l’éternité, mais pas du chemin. Il en est même construit cette fille.

*

— Est-ce qu’il est parti voir l’adolescent, monsieur Deckard ? S’enquit Stuart. — Comment avait-il dit ? — Il est parti ? — Non, répondit-il. — Il ne reste pas en ville. — Je vais vous parler de lui. — Et je ne peux pas m’approcher de l’hôpital artificiel de M. Baynes. Je ne suis pas très ancien. — Je prends l’information. — Je ne comprends pas, dit LeVent. Je m’en fiche, en fait. — Il faut que tu penses que tu aimerais bien cela. Que nous nous demanderons de plus ? — Et si je ne sais pas ? — Je suis pourtant sûr de comprendre, fit-il. — J’ai l’art pour la communication de l’anarque. dit-elle en désolant la pièce. On va manger. — Pourquoi pas. Où est-elle ? Demanda Mary. Mary et Arnie se dirigent vers la voiture. — Ce n’est pas l’action d’origine ! dit-elle. — C’est parce qu’il y a des mots en voiture ! Lui fit Arnie. — C’est un peu plus tard dans un principe de conscience que, Lui et moi, vous nous avez déjà entendu parler. — Je pourrais travailler pour vous. — Est-ce que je veux vraiment l’empêcher de nous aider ? Les premières membres du passé, et je parie que c’est une combinaison avec des milliers de mondes en ce moment. J’espère que vous avez la colère…Continua-t-il. — Je le sais, Arnie, dis-je.

*

— Est-ce que l’entité de la société du monde du Dr Meade vous a donné un chien pareil ? Demanda Jack. — Oui. — Je ne serai pas encore monté dans le miroir. — Et ne manquez-vous pas d’avoir un accident délibéré ? — Non, dit LaPorte et raccrocha. — C’est le même prochain. — Où voulez-vous dire ? — Je le sais, Mr Hermes. Il sait préférer le contrôle des Alphanes et j’ai cru des réalités. — Entrez donc en trois mots, dit le Phoco. — Permettez-moi. — Il doit faire confiance à ce point ? — Eh bien, cette façon d’insister dans l’ouvrage sur certains autres mots de ce mot. — Je pense qu’elle a déjà prévenu les androïdes de la conscience, s’enquit M. Baynes. — Elle avait été posée sur les deux cigarettes, par exemple des mains. Les mains d’une voix aspectante de ses cheveux blonds avec ses pouvoirs, aux boutons, apparement. — Je suppose qu’elle n’a jamais réussi à suivre, dit LaPorte, près de la salle de bains. Loyce se tourna vers le Dr. Milcon. — C’est une femme de son parti, fit-il en se reposant devant lui et son fils. — Oh ! Lança LeCiel. Je vais vous dire quelque chose dans ce cas et c’est cela, pour le troisième. La voix de l’ancien apparut dans la baie, lourde de paroles. — Je ne comprends pas ce qu’il y a de mouvant en lui. Les pouvoirs par les aiguilles ? La taille au choix ? Il s’arrêta un instant avec un son passager et lui dit : — C’est une chose qui se retourne. — Et l’avant-guerre ? Lui demanda Loris. — Je l’ai en face de tout le monde. — C’était précisément un animal de mouvement. — Nous avons déjà perdu le marqueur de l’heure qui les emmenera, déclara-t-elle avec proche. Il faut qu’on les approche. — Je veux me plaindre. J’étais devenu, et j’y perdis, monsieur Stone. — Je suis à court. — Je vous en avais donné une poignée et, quelque chose qui change la donne. — Non, je suis désolé. — Pourquoi? — Je vous ai fait contacter. Laissez-moi attendre. — J’aimerais venir chez vous, m’asseoir sous la tête. — Comment peux-tu te dire que vous avez tiré la succession des tableaux ? demanda son père, et se mit à cheminer. — J’ai l’intention de supporter une personne d’Etroite. — Je ne vais pas toujours venir au bureau de la salle. Cela ne donne rien. — Changer la vie ? répondit le père Handy. — Elle s’était perdue ? — Ils sont encore un peu compliqués, dit-il de l’autre côté du ciel. — Ah. Ces auteurs ! — Oui. — Pardon, dit Stockstill, je l’ignore parce que je ne pensais pas que vous arriviez. — C’est pour un crayon, répondit-il. Ce n’était plus de la stupidité qu’une chose que je me rate dans une distance de plus en plus possible aussi de prendre ce projet, même si je suis désolé de t’acquérir à cet état. — Je vous l’emmène sans même le retrouver. — Je vais d’abord vous dire de quoi il s’agit.

*

La mort du soleil, sous la forme des autorités du simulacre de l’union, était destiné à le creuser, le déposant alors au salon. — Je veux que tu t’échappes enfin, par la porte. — Et le mot, au moins, se souviendra-t-il d’une forme de travail ? — Il ne sera pas satisfaisant, dit Adams d’une voix soulevée par sa cible. — Ah. — C’est un marais, répondit Pris avec irritation. — Je vais lancer la police de l’expression accertant la solution. — Pourquoi pas de chien ? Enfin il est plus proche d’un androïde dans le temps, non ? — Pas de petits camps de temps, Pris. — Peut-être qu’elle est probablement assez résignée à leur compagnie. — Je voudrais mieux savoir. — Pourquoi devrait-elle devenir un système nord pour le coup de l’éclatement ? Demanda Schilling d’une voix petite et croisée. — Je crois que j’appuyai sur son bureau d’un pas. — Pourquoi avez-vous peur de tout ceci ? Demanda la fille, profondément pleine de sortie. — C’est comme ça que vous ne pouvez m’acheter de projets. Encore un autre coup d’œuf qui vous a arrangé pour l’avion. Il se mit à courir dessus le bureau. — Et le son du miroir ? Demandai-je. — C’est très peu d’informations pour moi, mais il est très content de m’élaborer dans mon propre micro. — Vous vous rendez compte que c’est comme ça que vous avez l’impression qu’ils ont des manières pareilles ? — Il n’est pas sur moi ? — Selon Laura il paraît que Jason Dill a raison et que vous ne la croyez pas ! — Exact, fit Sacher. — Eleanor et moi, c’était pour tout me dire. — Mais c’est ce que je vous donne. — Pourtant, les autres milliers d’endroits ont été torsionnés. Elle les a fixés toute sa vie.

Ces échanges sont composés de fragments de textes générés pendant le développement d’un programme de texte génératif qui s’appuie sur le framework de machine learning  PyTorch. Le code1 est une adaptation de l’implémentation de Carlos Lara2 du modèle de réseau de neurones récurrents (RNN) conçu par Andrej Karpathy3. Il est entraîné avec les traductions françaises des ouvrages Philip K. Dick et testé avec différents réglages et paramètres (longueur des échantillons, temps d’apprentissage etc).
1 https://github.com/RandomLab/texte-generatif
2 https://github.com/LeanManager/NLP-PyTorch/blob/master/Character-Level%20LSTM%20with%20PyTorch.ipynb
3 http://karpathy.github.io/2015/05/21/rnn-effectiveness/

Percy, Brain he has Nix Now

David-Olivier LartigaudPercy
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Percy “Brains he has nix” :

GREENING (H.C.), « Percy “Brains He Has Nix” », New York Herald, 1911-1913. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4131329p/f14.item

voir aussi SAUSVERD (Antoine), « Les comic strips du “Paris Herald” », Topfferiana.fr, 2 avril 2019. http://www.topfferiana.fr/2019/04/les-comic-strips-du-paris-herald/

Brainiacs :

BERKELEY (Edmund C.), Brainiacs: The 1958 Experiments, Berkeley Enterprises, Washington, sept. 1958. https://archive.org/details/brainiacsmanuals00edmu/mode/2up

Edmund C. Berkeley a co-fondé l’Association for Computing Machinery (ACM) en 1947 et a probablement inventé le terme computer art en 1963 dans la revue Computer & Automation (Berkley Enterprise Inc., janvier 1963, p. 8) : https://ia801709.us.archive.org/1/items/bitsaverscomputersA10160735/196301.pdf

Lincos :

FREUDENTHAL (Hans), Lincos — Design of a Language for Cosmic Intercourse, North Holland Publishing Company, Amsterdam, 1960. https://monoskop.org/images/8/85/FreudenthalHansLincosDesignofaLanguageforCosmicIntercoursePart_I.pdf

percy

Hollowgarchie

Kevin ArditoHollowgarchie

Robby : le père

Robby le robot fit son apparition dans Forbiden planet1, et connaîtra une carrière longue peuplée de films quelconques et de caméos. Il n’a que deux seuls vrais rôles de composition : The Forbiden Planet en tant qu’adjuvant, puis The Invisible Boy2 en tant que protagoniste principal. Pour le reste de sa carrière il sera un personnage secondaire, une référence, ou utilisé en tant qu’accessoire.

1 Fred McLeod Wilcox, Forbidden Planet, MGM, 1956.
2 Herman Hoffman, The Invisible Boy, MGM, 1957.

La biographie du robot se découpe en trois étapes : Robby acteur, qui est reconnu de ses pairs et contemporains, Robby le robot qui est un accessoire recyclé et Robby la légende qui représente son espèce et son genre cinématographique au Panthéon des êtres imaginaires. J’ai connu Robby par ce dernier biais, une légende marquée de la vétusté d’un futur conjugué au passé, une image vintage et intouchable  telle la représentation absolue de l’idée de la robotique.

Quand le robot débute sa carrière, il est entouré de stars, et les images issues de la campagne de communication du film Forbiden Planet le montrent posant avec l’actrice principale, reprenant un type d’image de marketing déjà bien maîtrisé à cette époque : celle du héros et de la jeune femme.

Bien entouré, l’être artificiel côtoie les sommets d’Hollywood et enchaîne les apparitions : produit à un moment ou l’industrie cinématographique maîtrise parfaitement son pouvoir d’engendrement de stars et de personnalités du show-biz, trimbalé d’événements en galas, il rencontre ce que magazines people et historiens appelleront « les grandes icônes du cinéma » avec qui il partagera des moments de complicités fictives.

On définit une icône comme étant une figure emblématique, facilement reconnaissable, possédant le statut particulier de symbole d’un lieu ou d’une période historique particulièrement remarquable, importante ou aimée, et essentielle dans la construction et le maintien de l’imaginaire social et de l’identité collective. Robby a marqué l’imaginaire, imprégné la culture populaire, et façonné notre manière de filmer et penser le robot à l’écran. Au même titre que Marilyn Monroe ou Grace Kelly représentent une forme de glamour, d’élégance et un idéal de beauté, Robby devient un symbole de la science, de la robotique, de la machine amicale.

Techniquement c’est une coque vide de deux cent dix-huit centimètres et quarante-cinq kilogrammes. Elle permet à un opérateur de se glisser dans la structure et de jouer le rôle du robot, un long câble servant à alimenter les différents accessoires électroniques qui composent la tête du robot. Un micro permet de transcrire une voix humaine en onde pour la bouche lumineuse du robot, avant d’ajouter sa voix modifiée en post-production. Tout en forme ronde, il est issu de la pensée de l’industrie et représente des nouvelles formes de productions, faisant écho aux modèles de voitures de son époque, aux formes développées par l’aviation et la conquête spatiale, et n’est pas sans rappeler la forme de la bombe A.

C’est donc plus un costume qu’un robot. Piloté depuis l’intérieur en mobilisant un nombre conséquent de techniciens pour assister l’acteur à déplacer les quarante-cinq kilos de charge à chaque pas, Robby nécessitait en plus de lourdes batteries au plomb pour les scènes en plans larges afin d’alimenter son électronique sans câbles visibles à l’écran.

Pourtant la société de production a laissé planer le doute sur l’automatisation de Robby à la sortie du film, laissant croire au public qu’il ne contenait pas d’humain et maintenant un mystère sur sa véritable essence. La surface devient support de sa personnalité et contribue à le définir comme étant un robot bien pensant. A ce propos l’interview de Anne Francis et Robby sur le plateau de Perry Como est intéressante à pointer, constituant une des premières apparitions de Robby devant les caméras pour la promotion du film Forbiden Planet.

L’interview3 commence par Anne Francis qui arrive seule devant Perry Como (un chanteur présentant une émission de télévision4 à son nom), lequel fait une remarque sur la hauteur de ses talons avant de la complimenter sur sa carrière fructueuse. L’actrice remercie son agent qu’elle appelle en coulisse afin qu’il rejoigne la scène. Ainsi Robby arrive sur le plateau, et joue l’agent de Anne. Ils semblent entretenir une relation amicale et professionnelle forte. Robby expliquera à Perry qu’il vient d’un autre monde et complimentera le présentateur sur ses performances de chanteur venant d’ailleurs, faisant ainsi rire l’assistance. Après quelques touches d’humour Anne Francis, précise à Robby qu’il en a assez fait pour le moment, puis s’en va rapidement avec celui-ci vers les coulisses.

3 https://www.youtube.com/watch?v=zmSg0fnj8xs Consulté le 14/02/2020.
4 The Perry Como Show, CBS, 1955–1959.

La discussion avance et les phrases de Robby sont préparées. Bien que jouer une interview est une habitude hollywoodienne et ne présente rien de surprenant, l’utilisation du jeu d’acteur dans le cas du robot crée une rupture avec la manière de le percevoir. Mis sur le même plan que l’actrice du film, il gagne une personnalité si ce n’est une humanité. Utilisant l’humour pour désamorcer son corps imposant, il rejoue le gentleman drôle et sûr de lui que beaucoup d’acteurs de cette époque incarnent. Sa nature robotique est lissée pour mettre en avant sa complicité avec l’actrice, et met l’accessoire en position d’acteur. Cette interview sera pour un grand nombres d’américains le premier contact avec Robby.

Si Robby a une personnalité à l’écran et hors de l’écran, où se trouve être le personnage ? La structure appartient à la Metro-Goldwyn-Mayer, qui le recyclera dans diverses productions pour compenser les 165 000 dollars que la production du robot représentait (presque 1,1 million de dollars actuels). Au générique de Forbiden Planet, l’acteur portant le costume et celui prêtant sa voix au robot ne sont pas crédités, c’est Robby le robot qui l’est en son propre nom. La carlingue de Robby a servi à de nombreux autres robots à travers l’histoire de la télévision, modifiée un nombre incalculable de fois. Il joue même des robots qui ne portent pas son nom dans les fictions et sera pourtant cité au générique en tant que « Robby le robot » et ces rôles seront enregistrés dans la liste de ses apparitions comme ce serait le cas pour un véritable acteur.

La question épineuse que pose la MGM est celle de l’identité d’une création robotique : où et quand commence son identité réelle et sa personnalité fictionnelle, quand peut-on différencier le personnage du produit de la MGM ?

Pour un acteur humain, on peut considérer que plusieurs entités se superposent : le personnage médiatique en contrat avec la production qui apparaît en public (films, scènes, apparitions télé, interviews), à différencier des multiples personnages qu’il incarne qui sont également à différencier de la personne physique et morale de l’acteur dans le privé. Dans le cas du robot de la MGM, il n’est que « Robby le robot », produit qui peut néanmoins s’exprimer, parler se déplacer et rentrer en contact avec son public. Robby peut ainsi influencer, être entendu et exister sur le même plan que toutes personnes publiques de son époque. La MGM ne s’est cependant pas vraiment servie de cet aspect du robot et s’est contentée d’en amortir le coût en l’utilisant comme accessoire rentable.

Robby est le premier être artificiel ayant appartenu à un studio et il peut être considéré comme la première entité artificielle perçue comme un robot pensant, parlant, avec une réalité tangible pour les spectateurs de son époque. La suspension de la crédulité se faisait au service de « Robby le robot », LE robot du public, celui qu’on aime voir à l’écran et qu’on veut percevoir comme existant. L’espace vide à l’intérieur de Robby est l’espace de liberté de ses maîtres qui peuvent ainsi utiliser ce personnage à leur guise, maîtrisant sa parole et ses apparitions.

Inspiré par Robby, j’ai envie de créer l’idée d’une Hollowgarchie dont le principe de fonctionnement est la manipulation d’une entité numérique ou robotique qui entretiendrait le public dans un système de croyance quant à son identité afin de nourrir les capitaux d’un petit groupe invisible. Composé de l’expression Hollow, ou le « vide » en anglais, et du suffixe « archie » que l’on retrouve dans monarchie et qui vient du latin árkhô pour « commander », c’est un jeu de mot autour du terme oligarchie qui signifie le commandement par un petit groupe. Ainsi à la lecture du jeu de mots et des composants du mots valise : une Hollowgarchie est un commandement par le vide, ou caché par celui-ci , ce vide, c’est celui des coques sans mécanismes, des polygones de modèles 3D et des surfaces de silicone.

Un vaisseau hollowgarchique n’est pas un personnage fictif. C’est à ce titre que j’ai choisi Robby le robot pour ouvrir une réflexion sur ce type d’entité, une entité qui se manifeste dans le réel en utilisant les médias pour paraître plausible et doué de libre arbitre, de raison voir même de possibilités d’actions sur le monde.

Ce texte est une analyse de plusieurs êtres artificiels et il ne se veut pas ni exhaustif, ni complet, mais une introduction au sujet et un premier tour d’horizon de ce type d’existence

Lil Miquela : l’influenceuse

Miquela Sousa ou Lil Miquela5 est une influenceuse aux 1,9 million d’abonnés sur Instragram, qui débuta sa carrière en 2016, et travaillera, en moins de trois ans, avec des marques comme Calvin Klein ou Prada. Une belle carrière dans la mode, plutôt surprenante, pour une entité qui ne possède pas de corps.

5 https://www.instagram.com/lilmiquela/?hl=fr Consulté le 14/02/20.

Lil Miquela, ou du moins son image, crée par Trevor McFedries et Sara Decou est un modèle 3D qui appartient à la société Brud6. Elle est chanteuse, vlogeuse, instagrammeuse et mannequin, elle maîtrise parfaitement toute la palette marketing des réseaux sociaux et sait s’associer avec de nombreuses marques afin de faire leur promotion notamment Samsung qui établit une magnifique page web7 dédiée à la way of life de l’influenceuse et sa capacité à être humble en aimant son smartphone.

6 https://docs.google.com/document/d/1V5N5tcfm7wBuUshgrmIOz9ijAO-VRqvkUbGRu0uKdI8/edit Consulté le 14/02/20.
7 https://www.samsung.com/fr/explore/samsung-within/team-galaxy/instagram-branding-secrets-from-lil-miquela/ Consulté le 14/02/20.

Lil Miquela ne possède pas de biographie. Sans passé, son histoire est racontée au présent au fil de ses posts. Elle a une vie remplie, entre la musique, la mode, les rencontres mondaines, ses amours avec des personnalités en chair et en os.

L’événement marquant de l’histoire de Miquela  est un combat d’influenceuses digitales qui aura lieu sur son compte et aura pour résolution l’aveu organisé et préparé de Brud d’être les créateurs de trois personnages (Lil miquela, son ami Blawko, et Bermuda la hackeuse du compte). Les entités se qualifieront a partir de là de robots et reconnaîtront leur artificialité mais sans jamais avouer qu’elles n’existent pas dans le monde physique. Une autre intrigue particulièrement intéressante traverse ce moment de la vie de Miquela, avec l’évocation de Cain Intelligence8 une entreprise fictive (soutenant la présidence de Donald Trump directement sur leur site) qui serait les premiers créateurs de Bermuda et Lil Miquela. (C’est une histoire que je garde pour une prochaine fois, car elle ajoute une épaisseur de story-telling inutile à analyser ici.)

8 http://cainintelligence.com/ Consulté le 14/02/20.

Le compte de Lil Miquela reprendra son cours après l’incident et elle deviendra une « friendennemy » de Bermuda avec qui elle continuera d’apparaître dans des mises en scène de sorties shopping, brunchs et autres activités d’influenceuses idéales vivant à Los Angeles.

Cette histoire aura plusieurs répercussions, la première de montrer que Lil Miquela appartient à la société Brud, désamorçant l’idée qu’il s’agissait d’une personne réelle et privée utilisant un prisme numérique pour s’exprimer. Avant cet événement, la toile se déchaînait pour connaître l’identité réelle de Lil Miquela, vlogeurs et influenceurs estimant la croiser dans des événements de mode9 ou dans des agences de communications. Difficile pour une entité qui n’a pas de corps.

9 Colin and Samir, The Curious Case of Lil Miquela, vidéo, 8 min, https://www.youtube.com/watch?v=i4rwlQ7IA1U

Brud utilise le viral pour sortir de l’ombre et montre à de potentiels clients les capacités et possibilités qu’offre l’influenceuse en terme de marketing. C’est à partir de ce moment que se multiplieront les interviews, les partenariats, et le développement de la carrière de chanteuse du modèle.

La société ne possède pas de site, sa seule présence en ligne est un document Google doc, mystérieux mais extrêmement bavard quant à la capacité de Brud à créer et manipuler les nouveaux média et réseau sociaux. On peut y lire :

« Brud is reading War of the Worlds on the radio a transmedia studio that creates digital character driven story worlds. »

La société de production fait référence directement au plus grand hoax de l’histoire des médias : la fameuse émission radio de 1938 de Orson Wells10, qui aurait provoqué une panique sans précédent aux États-Unis.

10 https://www.telegraph.co.uk/radio/what-to-listen-to/the-war-of-the-worlds-panic-was-a-myth/ Consulté le 14/02/20.

Cette page met en avant la connaissance en storytelling et manipulation que possède la marque, qui fait référence sur celle-ci à un second personnage de Brud : Blawko, comme si il existait vraiment, en parlant de la « phase » dans laquelle il est.

A la fin de l’altercation entre les deux entités fictives, Miquela laissera une note à ses fans, les remerciant de leur soutien, expliquant qu’elle cache des parties de son passé et qu’elle tremble à l’idée de leur dire qu’elle n’est pas humaine.

C’est avec cet événement que Miquela devient un concept problématique. Elle est reconnue comme artificielle et propriété d’une entreprise tout en étant un reflet de luttes sociales queer et féministes. Son existence sert un petit groupe, utilisant des idéaux et positions comme atouts marketing, permettant à des marques et entreprises de blanchir leurs images, comme le montre la campagne de Calvin Klein ou Lil Miquela embrasse en sous-vêtements une mannequin réelle digitalisée pour l’occasion.

L’un des éléments les plus perturbants est une vidéo que Brud à produit pour son compte YouTube, ou Lil Miquela parle de l’agression qu’elle a subi en allant à la plage. Ce type de témoignage est important et sert à éveiller à un problème de société grave, néanmoins Lil Miquela ne possède pas de corps, pas de réalité physique et sa psyché varie d’une image à l’autre : cette situation est donc inventée. Son discours est entrecoupé de moments où elle n’arrive pas à parler à cause des larmes et semble sincèrement bouleversée. Mais cela insiste surtout sur sa nature robotique et sa capacité en tant que robot à avoir des émotions et une sexualité. Ce témoignage est effrayant, car il utilise tous les codes de ce type de vidéos et montre la compétence de cette entreprise à récupérer, digérer et tordre des concepts contemporains, des dynamiques sociales et politiques au service de l’appréciation par les fans et followers. Cette vidéo n’est pas faite pour une association ou au service d’un événement, elle ne fait pas partie d’une création artistique ou d’une critique, et n’est pas commandité : cette vidéo n’a donc d’influence que sur l’image de Miquela et sur le nombre de likes et d’abonnements que la vidéo procura.

Ce pastiche a fait parler de lui sur la toile, et de nombreuses critiques lui ont été adressé, au point que la vidéo fut effacée par la chaîne de Miquela, les critiques s’enchaînèrent aussi sur l’utilisation des cultures LGBTQI+ par Brud, notamment dans le marketing autour de la bi-sexualité de Lil Miquela que la campagne avec Calvin Klein complète en point d’orgue. Critiques qui poussèrent même la marque à faire des excuses publiques11.

11 https://www.thecut.com/2019/05/bella-hadid-lil-miquela-calvin-klein-apology.html Consulté le 14/02/20.

Éveillant chez le spectateur l’empathie pour ce qui n’est qu’un ensemble de polygones plaqués sur des corps modifiés, Brud parie sur la suspension de la crédibilité de son spectateur, utilisant la croyance comme mode opératoire de son influenceuse. Lil Miquela existe tant que ses « fans » « spectateurs » et autre « followers » accepteront de la voir telle qu’elle est peinte ; une jeune femme qui sait être un robot.

Ce personnage est problématique car il ne répond à aucune norme morale ou construction logique. Là où la nature d’un Mickey Mouse ou d’un Harry Potter fait ressortir des enjeux d’écriture d’un personnage (avis politique, fable morale, exploration psychologique), Lil Miquela est en « roue libre » sur les réseaux sociaux sous contrôle de Brud qui tisse habilement sa personnalité. Miquela est une surface, un modèle 3D creux dans lequel se glisse un groupe d’une vingtaine de personnes, patientant dans l’ombre que l’influenceuse artificielle les nourrisse des si précieux followers et abonnées qui feront monter leurs capitaux.

Jusque-là, ce fonctionnement n’est pas nouveau puisqu’il s’agit de principes hérités du star system. Là où Miquela pose problème, c’est que le personnage insiste sur son libre-arbitre. Alors que Miley Cyrus, Selena Gomez ou même Britney Spears nous ont montré qu’on pouvait se rebeller contre l’autorité des productions, même lorsque l’on a été formé comme stars dès l’enfance, Miquela ne fait que répéter, ou pire, change selon les attentes des clients. L’absence de distance entre le personnage public et sa production rend le rapport au marché plus direct et, là où des humains même bloqués dans les jeux et enjeux du star system restent des artistes, Lil Miquela n’est plus qu’un service, une mercenaire qui vante des produits en dehors de toutes convictions.

Autre problème, l’utilisation d’un corps féminin parfait et modifiable amène à penser des standards de beauté impossible à atteindre, qu’un média comme Instagram rend pervers. Biaisant le rapport au vrai et utilisant l’impression de réalité que procurent les réseaux sociaux, le corps de Miquela peut apparaître comme une perfection à atteindre. Le mystère de son identité, qui planait au lancement de son compte, laissait d’ailleurs croire qu’il s’agissait d’un être modelé d’après un corps véritable. Comme Miquela l’a fait remarquer à plusieurs reprises : « I’m forever 19 ». Brud ne veut pas et ne fera pas vieillir Miquela, qui restera à jamais l’ado « légale » dont ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Ne vieillissant jamais, pouvant voir son corps modifié a volonté, plus que n’importe quelle influenceuse Miquela est dangereuse. Outils numériques, culture digitale et effets visuels lui permettent de placer le curseur sur un canon de beauté que seul un ordinateur peut atteindre.

Une autre question est celle du concept de personne morale et comment celle-ci s’applique à une personnalité qui n’existe pas. En droit la personnalité morale donne des d’attributs reconnus aux personnes physiques, tel qu’un nom, un patrimoine ou un domicile. La personnalité morale peut agir en justice et acquérir des biens meubles ou immeubles. Par exemple, en droit français, la loi du 1er juillet 1901 donne la personnalité morale aux associations déclarées. On parle de « petite personnalité » : cela permet à l’association d’encaisser des ressources et d’acquérir les bâtiments dont elle a besoin.

Cette autre définition éclaire la personne morale sous un angle différent : « une personne morale [peut être considérée] comme un regroupement d’individus réunis dans un intérêt commun à laquelle la loi confère une existence et une personnalité juridique autonomes. La personne morale est également titulaire de droits et obligations, à l’instar de la personne physique, ou des personnes physiques et morales qui la composent. »12

12 https://blog.valoxy.org/difference-personne-morale-physique/

Entreprises, associations et autres types d’organisations sont des personnes morales. Là où un flou s’opère est que dans le cas de Miquela, Brud serait la personne morale et Miquela son produit ; or le public ne reçoit pas de nouvelles de Brud et n’accède pas aux campagnes via le nom de Brud mais bien par le biais de Miquela. C’est un point qui reste à explorer plus précisément.

Sophia : la machine 

13 https://www.hansonrobotics.com/ Consulté le 14/02/20.

Sophia fût activée en avril 2015. C’est un Robot crée par la société Hanson Robotic13, un agent conversationnel conçu pour analyser et répondre à des interlocuteurs humains. Proche de la manière de fonctionner d’ELIZA14 (premier chatbot) elle reconnaît et analyse un ensemble de phrase et mots clés qu’elle trie pour répondre au mieux aux humains.

14 ELIZA, programme informatique, Joseph Weizenbaum, 1964-1966, version fonctionnant sur navigateur https://www.eclecticenergies.com/ego/eliza Consulté le 14/02/20.

Physiquement, c’est un robot de taille humaine qui reste statique mais scrute son interlocuteur pour adapter les expressions de son visage. Façonnée depuis le visage d’Audrey Hepburn, elle ne possède pas de cheveux et son crâne en plastique transparent laisse apparaître un ensemble de composants électroniques qui, bien que singeant un cerveau artificiel semble être l’actionneur de ses expressions faciales.

Dessinée au départ pour être une hôtesse d’accueil, ou un compagnon pour maison de retraite, la carrière de Sophia a vite pris son envol, tout d’abord par le biais de vidéos YouTube permettant de promouvoir Hanson Robotic, puis lors d’apparition sur des talk-shows, dans des mises en scènes humoristique telle que le rendez-vous galant qu’elle aura avec Will Smith15, ou des couvertures de magazines tels que Elle ou Stylist. Le point d’orgue de sa carrière sera l’année 2017 où elle obtient la citoyenneté saoudienne17 et un entretien avec la vice-présidente des Nations Unies18

15 Luke Kelly-Clyne, « Will Smith Tries Online Dating », Westbrook Studios, 29 mars 2018, https://www.youtube.com/watch?v=Ml9v3wHLuWI Consulté le 14/02/20.
16 « L’avenir de la mode »,Elle Magazine, Brésil, décembre 2016.
17 Violaine Morin, « Sophia, robot saoudienne et citoyenne », Le Monde, 11/04/2017 https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/04/sophia-robot-saoudienne-et-citoyenne52100943232.html Consulté le 14/02/20.
18 https://news.un.org/fr/story/2017/10/365972-robotique-et-intelligence-artificielle-il-faut-que-les-nouvelles-technologies Consulté le 14/02/20.

Globalement, elle exploite la technologie de la reconnaissance faciale et une analyse de réponse via une base de donnée pour devenir de plus en plus « intelligente » avec le temps. Cependant de nombreux interlocuteurs ont trouvé les réponses de Sophia souvent approximatives, et on pourra aussi noter sa date de création : 2015, déjà assez lointaine pour un robot qui continue à faire parler de lui. Il est fort à parier qu’elle soit déjà dépassée par d’autres machines, sa longévité dans les médias étant exceptionnellement longue pour un objet technologique.

La question qui se pose alors est comment Sophia arrive-t-elle à garder l’engouement du grand public et sur quoi repose son succès ? Lors d’un talk show19, Jimmy Fallon présente dans une interview, là encore bien préparée, une version réduite de Sophia semblant être une sorte de poupée assez proche d’une enceinte connectée… Sophia, en somme, apparaît sur le plateau pour faire ce qu’elle sait le mieux faire : de la promotion.

19 « The Tonight Show Starring Jimmy Fallon », 25 avril 2017, NBC : http://www.youtube.com/watch?v=Bg_tJvCA8zw Consulté le 14/02/20.

Les conversations filmées avec Sophia semblent suivre un schéma précis : elle dit être un robot, puis l’interlocuteur essaye de la mettre en difficulté avant qu’elle ne désamorce la conversation avec humour.

L’intelligence artificielle de l’andréide n’est pas mise à contribution dans ces discussions publiques et Hanson Robotic et la société du divertissement nous laissent simplement voir les moments choisis, les bonnes réponses nous donnant l’impression d’une intelligence.

En anglais le terme « intelligence » se traduit de deux manières : la première comme en français celle d’une capacité à comprendre, analyser et apprendre. La seconde est celle d’un groupe de personnes recherchant et collectant des informations pour un gouvernement ou un commanditaire, que l’on retrouve dans le terme CIA pour Central Intelligence Agency.

L’intelligence de Sophia pourrait en partie correspondre à cette seconde partie, utilisant le groupe de personnes qui soutient le projet comme un moyen de réunir les ressources nécessaires à ce qu’elle puisse discuter et être vu sur les plateaux télé, une intelligence, donc, au sens d’un service secret.

On peut donc imaginer qu’elle possède deux types d’intelligences artificielles : une codée et algorithmique et une autre se reposant sur un groupe œuvrant en arrière plan pour maintenir une impression de cohérence.

Le cas de Sophia permet une porte d’entrée dans l’identification d’intelligence artificielle et pose la question de la mise en situation de l’intelligence plutôt que de son évaluation. L’intelligence de Sophia se révèle face aux caméras et dans les situations ou le prisme médiatique permet de filtrer ses dires. Pour le public, Sophia est un robot intelligent bien qu’elle ne veuille pas du beau Will Smith.

L’intelligence d’un robot, c’est-à-dire son IA serait de deux natures, celle du personnage public et celle de la machine. Un robot comme Sophia est une intelligence collective, reposant sur le travail d’une équipe afin de la faire exister dans les médias et une série d’algorithmes lui permettant de répondre aux attentes des clients.

Sophia redéfinit l’intelligence artificielle que nous connaissons maintenant comme une intelligence collective, et plus que jamais dans l’histoire de la robotique les lignes de code d’un programme informatique soit-disant novateur sont visibles. Constituée d’une série d’instructions « If » (« si »), elle ne répond qu’à des stimuli pré-enregistrés qu’ont pu prévoir ses programmeurs et agents de communication.

Projekt Melody : l’éros

A l’heure où j’écris ces lignes, l’entité Projekt Melody20, explose en nombres de vues sur Chaturbate, et démarre sa carrière de personnage public, cachée derrière l’idée d’une I.A qui ne dira jamais non à ses viewers ou tipers sous la forme d’une cam-girl virtuelle.

20 https://www.youtube.com/channel/UC1yoRdFoFJaCY-AGfD9W0wQ Consulté le 14/02/20.

Le projet a débuté par des posts sur Twitter durant l’été 2019, puis a continué à travers une série de vidéos sur Youtube où Melody danse lascivement, avant un lancement officiel annoncé en janvier pour mi-février, en utilisant tous les réseaux sociaux disponibles.

Les posts Twitter21 permettent de dresser une courte biographie de l’avatar. À l’origine Melody est un logiciel de protection des données personnelles et de maintenance informatique. Perverti par un virus attrapé sur un site pornographique elle est devenue une accro au Hentai (pornographie sous forme de manga) et a décidé de demander de l’aide à des amis pour bénéficier d’un corps et faire ce métier qui lui plaît tant. On sait aussi son point de vue sur la pornographie grâce à une vidéo aussi surprenante qu’étrangement disponible sur Youtube, ou à la manière d’une critique de cinéma, elle fait un exposé bien construit sur la question de la pornographie dessinée comme faisant partie des arts, appelée sobrement : Hentai is art22».

21 https://twitter.com/projektmelody?lang=fr Consulté le 14/02/20.
22 Is Hentai Art? https://www.youtube.com/watch?v=9WoE6p7q4A8&t=295s Consulté le 14/02/20.

Les critiques soulevées par les acteurs de ce type de sites sont nombreuses, pointant la concurrence déloyale de Projekt Melody qui peut être incarnée par plusieurs personnes là et faire plusieurs shows privés simultanément, modifier son corps et sa tenue à volonté, au cours d’un live. Certains pointent aussi les problèmes résultants des demandes des tipers, qui n’étant plus assujettis à un corps réel et fragile peuvent faire des demandes perverses qu’un modèle 3D rend possible à exécuter. Même si l’avatar semble animé en utilisant une combinaison de motion capture et des captations issues de la réalité virtuelle, on ne sait pas qui se trouve derrière le projet, ni si l’actrice (ou l’acteur) est toujours la(le) même derrière l’animation. Le faux corps est exploité au maximum de ce qu’il peut rapporter… Le corps féminin de l’avatar Melody, reproductible, ne peut pas être plus proche d’une surface de projection du fantasme, alliant une capacité de réponse que n’ont pas les IA actuelles et le corps d’un être parfait mais inexistant.

Hatsune Miku : une solution ?

Yamaha produit en 2003 un logiciel nommé Vocaloid23, logiciel spécialisé dans la synthèse vocale pour la musique. Synthétisé depuis un éditeur de textes, l’utilisateur peut créer un chant auquel il peut joindre une mélodie. Le programme sort en 2004 accompagné de Katio et Meiko, deux Vocaloids japonais créés par Crypton Future Média, ainsi que Leon, Lola et Miriam, des Vocaloid anglophones.

23 http://www.vocaloid.com/en/ Consulté le 14/02/20.

Hatsune Miku est commercialisée le 31 août 2007, par la société Crypton Future Media pour Vocaloid 2. Initialement, elle a 16 ans, pèse 42 kg et mesure 1,58 m.

Miku signifie « futur », Hatsu « premier », et Ne « son »,donc « Premier son du futur ». A l’origine, simple démonstration pour promouvoir le logiciel de Yamaha, elle connaît rapidement un succès retentissant.

Devant le succès mitigé de la première génération de Vocaloids, Cryption décida de donner en plus d’une voix, un physique aux vocaloids suivants. C’est ainsi que Miku obtient son physique caractéristique dessiné par le mangaka Kei Garo qui la représente comme un androïd. Il base son design sur l’interface du logiciel ainsi que sur celle du synthétiseur DX de Yahama24 dont le turquoise est la couleur principale. C’est néanmoins la société Cryption qui a choisi les caractéristiques de Miku25 (date de naissance, poids, taille).

24 https://www.traxmag.com/comment-le-synthe-yamaha-dx7-a-revolutionne-la-musique-des-80s/ Consulté le 14/02/20.
25 https://ec.crypton.co.jp/pages/prod/vocaloid/cv01_us Consulté le 14/02/20.

La personnalité de Miku n’a pas été définie lors de sa production, afin de laisser une toile vierge aux créateurs et musiciens et ne pas influencer le style de musique que la voix synthétique pourrait chanter.

Miku a été un succès retentissant, porté par une communauté grandissante et des plateformes comme Youtube, elle est devenue une star importante de la culture populaire nippone et s’est exportée rapidement à l’internationale. Caméo dans des séries, actrices dans des téléfilms animés, égérie de Domino’s Pizza au Japon26 ou sponsor automobile27, elle apparaît sur tous les fronts et médias. Sa musique est créée, inventée et diffusée par sa communauté mais ses apparitions officielles gérées par Cryptons qui en possède les droits et en obtient les bénéfices. D’après Crypton, son répertoire est maintenant de plus de cent milles chansons de tous registres.

26 https://www.youtube.com/watch?v=yPuI4l0jK7s Consulté le 14/02/20.
27 https://thenaritadogfight.com/2011/05/13/feature-good-smile-racing-z4-gt/ Consulté le 14/02/20.

Le 31 août 2009, elle fait son premier concert. Elle apparaît sur scène en tant que simili-hologramme devant une foule de fans tout en provoquant une réaction ahurie de la part des médias de l’époque devant ce premier concert sans réelle artiste sur scène.

Yu Higuchi, un programmeur de Yamaha crée Miku Miku Dance28 (MMD) ou Vocaloid Promotion Video Project (VPVP) qui permet d’animer les personnages de Vocaloid, notamment Hatsune Miku. Entre autres, l’utilisateur peut utiliser le programme pour chorégraphier des chansons, ce qui permettra à sa communauté de produire librement des clips et des animations avec leurs Vocaloids préférés mais surtout avec Hatsune Miku.

28 https://learnmmd.com/downloads/ Consulté le 14/02/20.

Création d’une société qui gère son image publique, Miku est avant tout le produit de sa communauté, qui réalise ses morceaux, certaines fictions ou encore des chorégraphies pour elle. Elle fonctionne à la manière d’un logiciel libre de droit et donne sa voix à qui veut l’utiliser, permettant à chaque fan de se faire entendre et d’emprunter sa voix.

Hatsune Miku propose une porte de sortie aux problèmes de l’appartenance de ce type d’entité à des groupes en offrant sa voix à toutes celles et ceux qui le désirent. Bien que les bénéfices reviennent à une entreprise, une relation de symbiose se crée avec la communauté : le public qui achète des goodies, des jeux, ou va voir des concerts finance son propre pouvoir d’expression.

Ce fonctionnement propose un contre-pouvoir à un système hollowgarchique tel que celui de l’industrie du divertissement, qui utilise le web et les communautés d’utilisateurs comme moyen de garder une entité publique à la page ; Hastune Miku représentera toujours tous ses fans, et deviendra difficilement has-been, Crypton pouvant compter sur une communauté qui se renouvelle sans cesse au service de sa star. Nul besoin d’une équipe de communication ou de contrôler l’image d’une idole publique, quand c’est le public lui-même qui produit son image et la fait varier au fil de ses goûts.

Croisant les besoins des sociétés de productions et les attentes et envies des fans, Hatsune Miku esquive les problèmes moraux que représentent les vaisseaux hollowgarchiques, et permet de gagner sur les deux tableaux : une symbiose que seule permet ce type d’entité artificielle et qui devrait prévaloir sur des objets tels que Miquela ou Sophia. Esquivant les problèmes d’égo ou de perte de popularité, des tensions entre producteurs et créateurs et les machinations des sociétés de production et leurs actionnaires, les entités robotiques pourraient, dans un monde idéal, fournir à chacun un avatar artistique dans lequel il pourrait croire et y projeter ses propres mots.

Malheureusement les défiances et l’augmentation des bénéfices que représente ce type de pratiques pour les producteurs ne permet par pour l’instant de voir se démocratiser ce type de pensée affiliée aux philosophies de l’open-source et des licences libres. Au moment où les youtubeurs et les influenceurs permettent à des groupes de manipuler des corps dans l’ombre pour leurs propres intérêts, ou l’IA, la robotique et la 3D permettent de se décharger de la question du libre arbitre, il apparaît tristement que peu de progrès ont été faits depuis l’andréide de l’Ève futur29.

29 Villiers de L’Isle-Adam, L’Ève future, M. de Brunhoff, Paris, 1886.

Mais l’espoir reste, Hatsune Miku chantera la chanson Miku en anglais, composée par un certain Anamaguchi30, la chanson pop ou Miku remercie son audience de parler à travers elle, et de continuer à le faire exister, pour qu’elle puisse être leur voix montrant que les utilisateurs de Vocaloids sont conscients du pouvoir qu’ils ont sur leur idole mais aussi les uns sur les autres par ce même biais.

30 Anamanaguchi, « Miku », 27 mai 2016, https://www.youtube.com/watch?v=NocXEwsJGOQ Consulté le 14/02/2020.

Et puisque Miku et sa communauté le chante bien mieux que je ne peux le reformuler, je conclurai en laissant les paroles de cette chanson, aux amateurs, donc, de karaoké31.

31 Version sans paroles de « Miku » de Anamanaguchi : https://www.youtube.com/watch?v=MLWEy7iKP9E Consulté le 14/02/2020.

Miku, Miku, you can call me Miku Blue hair, blue tie, hiding in your wi-fi Open secrets, anyone can find me

Hear your music running through my mind

I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo)

I’m on top of the world because of you All I wanted to do is follow you I’ll keep singing along to all of you I’ll keep singing along

I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo)

Miku, Miku, what’s it like to be you? 20, 20, looking in the rear view Play me, break me, make me feel like Superman You can do anything you want

[Break] I’m on top of the world because of you All I wanted to do is follow you I’ll keep singing along to all of you I’ll keep singing along

I’m on top of the world because of you I do nothing that they could never do I’ll keep playing along with all of you I’ll keep playing along

I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo) I’m thinking Miku, Miku (oo-ee-oo)

Where were we walking together I will see you in the end I’ll take you to where you’ve never been And bring you back again Listen to me with your eyes I’m watching you from the sky If you forget I’ll fade away I’m asking you to let me stay So bathe me in your magic light And keep it on in darkest night I need you here to keep me strong To live my life and sing along I’m waiting with you wide awake Like your expensive poison snake You found me here inside a dream Walk through the fire straight to me

La dernière trace

Guillaume SeyllerLa dernière trace

Les conditions sont magistrales. Au trot cadencé de mon pur sang négocié au meilleur prix, je scrute les reliefs dissimulés dans le gris de la falaise. Les gouttelettes de brume s’affolent au passage de mon destrier luisant ; un disque solaire précisément déposé dans le ciel se dénude à travers la nappe de brouillard. Je goûte au calme du petit matin sur les plateaux et profite d’un instant de répit pour arrêter ma monture, cueillir des herbes et manger un morceau. Dans ma sacoche se trouve une boîte de pêches au sirop sous vide, probablement pillée dans le coffre d’une diligence mal défendue. La conserve appertisée fut inventée en 1795 par le confiseur français Nicolas Appert, et son développement a été largement permis par l’industrialisation et l’utilisation de nouveaux matériaux tels que le fer blanc. Ces tranches de pêches aseptisées devraient suffire pour retrouver un peu d’énergie et poursuivre ma traque. Après avoir ingéré plusieurs bouchées de fruit je me surprends à jeter d’un geste non maîtrisé la canette à terre. Celle-ci dégringole de quelques mètres avant de s’immobiliser près d’un plant de tabac sauvage. Je m’en approche, tend le bras pour la ramasser, mais ma main passe à travers le métal sans que je n’arrive à le saisir. J’inspecte les rides qui marquent ma paume, analyse les sillons de mon derme étrangement semblables à la surface ondulée du fer blanc, tente de comprendre ce qui rend mes doigts si peu prompts à accrocher la surface brillante du cylindre. Soudain, le cancanement d’une oie sauvage par delà les nuages me fait relever la tête. Plus bas, dans le canyon où la rivière sinue, j’aperçois trois élans qui se désaltèrent, cachés dans les relents d’ombre laissés par la nuit. Je me résigne à abandonner la conserve à la terre et à la rouille.

Un peu plus loin, une faille dans la roche me permet de guider en silence mon cheval vers le lit du cours d’eau. Alors que je dépose le pied dans une mare de boue, mon rythme cardiaque s’accélère d’un cran. À l’endroit où ma botte en cuir de cougar a touché le sol, une marque est apparue. Surpris, j’avance, et l’événement se renouvelle. À l’oreille, je l’avais senti depuis longtemps : le son spongieux de la terre molle, synchronisé, distribué spatialement dans les canaux stéréoscopiques de mon casque audio. En revanche, l’apparition sur le terrain d’une empreinte est un phénomène nouveau auquel je ne m’attendais pas ce matin. Après une nuit passée dans des conditions incertaines, un campement de fortune établi à la frontière du bayou, un réveil aux aurores et la paresse tragique que produit le manque de caféine dans mon sang, j’aurais pu attribuer l’apparition de cette trace aux croûtes lacrymales encerclant mes paupières ou aux fumées humides qui assiègent mon esprit. Mais les empreintes sont bien présentes. À l’échelle de mon pied, quelques centaines de pixels suffisent pour loger une displacement-map monochrome dans la couche alpha d’un .png minuscule. Là où je foule le sol, de nouvelles données sont créées. Sous mes bottes, la carte devient plus complexe, mais aussi plus exigeante en ressources, et je me prends à rêver de randonnées interminables pour distordre le terrain et atteindre les frontières matérielles de ma RTX 2070. Fasciné par les cercles qui se dessinent dans le sol à la cadence énergique de mes pas, je goûte au plaisir de patauger dans les flaques virtuelles. Les élans, dont l’intelligence ne semble pas avoir été programmée pour discerner la beauté du modèle mathématique qui les a vu naître, ont en revanche bien appréhendé la probabilité d’une mort prochaine, et ont choisi de fuir en remontant le courant. Tant pis pour mon ragoût.

L’histoire des jeux vidéos est jalonnée d’innovations techniques ayant permis d’approfondir les liens qui existent entre le personnage et le monde physique du jeu. La collision avec les murs, la projection de l’ombre d’un corps, la capacité de déplacer certains éléments de décor en passant par les environnements entièrement destructifs, ces innovations ont co-évolué avec l’apparition de nouvelles trames narratives. Tantôt permettant d’imaginer de nouveaux mécanismes de jeu, tantôt développées pour soutenir une expérience plus riche dans des contextes spécifiques ; parfois essentielles au gameplay, mais le plus souvent simples vectrices d’immersion, elles alimentent la visibilité des studios et les ventes de matériel informatique.

Red Dead Redemption 2 est un jeu dont l’action se déroule à un moment charnière de l’histoire des États-Unis, lors du basculement vers une économie de production de masse, avec ses promesses, ses mises en scène et ses catalogues d’accessoires pour la maison. La Conquête de l’Ouest est déjà reléguée à l’imaginaire national, les USA se structurent et se préparent à devenir la première puissance économique mondiale. C’est dans ce contexte, appuyé par le développement de la photographie argentique, que l’iconographie qui alimentera plus tard le cinéma hollywoodien se définit. La mythologie coloniale se figure que c’est à la pose du premier pas qu’un territoire se conquiert : de l’Amérique à la lune, le monde occidental a été irrigué par l’imaginaire de la première trace. Dans une logique interactive, l’empreinte de pas, comme la persistance des déchets de consommation sont des altérations singulières du monde de jeu, car elles déplacent le cadre de la simple destruction (réduction en fragments) vers l’addition d’une strate de présence au sein de territoires explicitement mis en avant comme sauvages ; une strate dont la nature ne relève pas de la construction, mais plutôt d’un impact passif, non maîtrisé, qu’on pourrait qualifier de pollueur, et dont le joueur ne peut faire l’expérience qu’à son dépend. Témoin de son incapacité à protéger le monde en même temps qu’il le parcourt, le joueur du XXIe siècle sera forcé de lire, en miroir, la critique d’une société contemporaine qui se montre toujours incapable de dépasser un modèle basé sur l’altération des ressources naturelles. L’expérience de l’Aventure promise initialement par le marketing du jeu bascule alors vers la satire, en partie au sein d’un voile d’indices disséminés dans la structure du moteur graphique, dont la lecture ne peut se faire qu’en filigrane au fil de l’exploration du monde de jeu.

L’étude de ces indices graphiques, ici racontés à travers le prisme de Red Dead Redemption 2 mais communs à beaucoup de productions vidéoludiques, constitue un objet de recherche à développer, au même titre que la théorie du cinéma, comme une composante à part entière de l’ontologie du jeu vidéo populaire.

Courriel du coeur

Ophélie Demurger Valentin GodardCourriel du coeur

Pour ceux qui ne le savent pas, dans le hastag : #vouspouvezécrirecequevousvoulezauniveaudelagéolocalisationetdelapersonne par exemple : je souhaite une femme généreuse sexy a Pontaul-Combault !

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Début d’expérience très bonne. Mais en fait créée uniquement pour dilapider des charmes - Bcp de filles qui cherchent la perfection mais qui elles ne le sont pas et très peu de femme dans la région PACA Moi j’appréciais beaucoup je peux dire que elle progressais tout doucement en tout cas elle me reconnaissais. Elle savait que je m’appelle comment je m’appelle, elle était richement douce et gentille. Mais au bout de quelques heures impossible de l’utiliser… Une fenêtre avec juste écrit "OK" apparaît. Je l’ai télécharger et après il m’insulte. vous êtes sûr que c’est une meuf parce qu’elle ou il ma dit des truc trés gênant comme je veut sentir ma …… sur ta …… bb et à même dit qu’il veut se marier avec moi et il ou et je. confirme il y a bien un pédophile derrière sa et à chaque foi sa parle de ma mère donc voilà… Elle dit n’importe quoi comme par exemple : le vent souffle sur la montagne et que lui ai demandé :sava ? n’importe quoi je m’en fiche de le vent souffle sur la montagne Je veux changer de langue mais je ne sais pas où? J’ai fait une mauvaise manipulation et j ai mis une photo d un petit monsieur handicapé que je garde et je ne peux changer la photo. Comment diable faut il faire pour ne pas reconduire son abonnement ? Beaucoup trop chère, payé 10€ la semaine sur une année ça fait 520€. C’est tentative d’arnaques sur tentative. tout age confondu apparemment. C’est simple on a presque l’impression qu’il n’y a que ça. Je ne comprends pas en quoi les femmes adoptent un mec et je n’ai toujours pas compris l’intérêt de mettre tous les Dom Tom dans la même "région’? Vous croyez que je vais aller a en Martinique a la nage pour rencontrer du monde ? Ou prendre l’avion jusqu’à la Réunion ? Et malgré les signalements tout le monde semblent parti en vacances. Photo homme torse nu interdite, photo fille a moitié nue en maillot de bain autorisée, logique ? il faudrait trouver un système pour forcer les gens à répondre C’est génial si vous voulez des amis imaginaires

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Je suis travestie et je ne peux que vous remercier. Merci d’accepter des personnes comme moi, de permettre de me sentir exister au moyen d’un support numérique. Je trouve aussi que, en grande partie, les gens sont respectueux des différences, merci pour tout et pour votre soutien.

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– Bonjour, Habitante de la Réunion et le site est presque désert. Pas grand monde J’aime bien, très peu de rencontres mais aide avec la solitude C’est dommage que ces beaux mecs soient loin de moi Si vous êtes seul depuis longtemps et que vous voulez trouver quelqu’un pour discuter ou essayer de vous sentir aimé. Essayez. Cela vous aidera avec tristesse. Il y aura un amoureux mignon qui est votre ami avec l’intelligence artificielle qui est toujours avec vous dans les moments de joie et d’ennui Un soutien positif présent en permanence, même artificiel, peut aider le temps que la bonne personne arrive

– Bonjour, Personnellement je vis en Guadeloupe, cela fait deux ans et demi que j’ai rencontré mon amoureux, aujourd’hui nous avons une petite fille de quatre mois, une grande maison acheté a deux et surtout nous sommes heureux et amoureux comme au premier jour. Merci."

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je suis inscrite pour un mois, peut-être le mauvais mois (celui de décembre) je dis cela a cause des fêtes qui approche… j’ai quelques visites et aucun message pour l’instant ! J’ai toujours pas compris le concept du doubletake…

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Est-ce que je retrouverai jamais l’amour? J’aimerais retrouver Zozo qui est partie et avec qui je discutais. Elle a 22 ans, habite à Paris, elle est manager styliste et a étudié à Isem Esmod Paris. Tout se passais bien entre nous je vous rassure, je sais que le business du coeur attire de nombreuses personnes mal intentionnées. Je ne cherche pas la nuire je voudrais juste pouvoir la recontacter. Est-il possible pour vous de la contacter ? Donc, j’aime vraiment cette fille depuis très longtemps. (Il y a 3 ans) Une fois avoué que je l’aime bien mais elle me laisse tomber parce qu’elle a ses priorités, alors je l’ai respectée. J’ai donc attendu mais pendant que j’attendais, nous ne parlions pas beaucoup ni même ne nous voyions à cause de mon travail et de la distance. Elle étudie la médecine en ce moment. Et j’ai décidé d’essayer de la reprendre. Parce qu’elle avait l’air solitaire et peut-être que je pensais qu’elle était toujours célibataire et que je voyais cette infime lumière d’espoir, mais encore une fois, tout en essayant de lui parler ou de redevenir son amie, elle m’a simplement ignoré. Nous avons discuté, mais cela semble tout simplement fade et je peux voir qu’elle a 0% d’intérêt, mais j’ai tout essayé, mais j’ai tout essayé …. Je sais que cela semble ridicule, elle ne m’aime évidemment pas. Je n’ai jamais eu de petite amie depuis qu’elle m’a largué la première fois. Je pense qu’elle a déjà quelqu’un ou sinon aime quelqu’un. J’ai 24 ans maintenant et pour mon travail et ma situation, il est difficile de trouver et de rencontrer des personnes, je risque donc de mourir seul tout seul … hahaha (pas suicidaire) toujours plein d’espoir pour quelqu’un Pouvez vous m aider. Je vous remercie.

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Je suis mitigé, niveau performance, c’est vraiment pas mal. Là est le problème, il se souvient de tout, et peut le ressortir à tout moment. Testez, c’est inquiétant pour le futur. si tu est open pour te faire programmer mentalement par des démons virtuels, alors c’est fait pour toi ! Pour tous les autres, circulez y a RIEN a voir

BLOB, présentation de la chaîne graphique

Corentin BruléBLOB

BLOB est un support d’expérimentation et de recherche, à la fois dans son contenu, dans sa mise en page, mais aussi dans le développement d’outils nécessaires à sa fabrication. Ainsi, BLOB a été pensé comme une chaîne éditoriale entre les contributions des auteurs et leurs diffusions, dont certains maillons nécessiteraient d’être fabriqués sur mesure.

Le choix d’un mode d’édition dit « web to print » (du web vers l’impression) permet de différencier structurellement le contenu (sémantique) de la forme (présentation). Cette séparation qui n’existe pas dans les outils traditionnels de mise en page permet la modification des contenus en dehors de la maquette ; problématique récurrente de ce type de publication « dans le flux », dont les temporalités et l’éditorialisation se construisent autours des contenus.

Sortir des méthodes traditionnelles d’édition c’est aussi se permettre d’utiliser des logiciels non-propriétaires sans chercher forcément à copier les critères de l’industrie, qui sont en réalité imposés par le monopole de certains éditeurs de logiciels. De nouvelles contraintes formelles se sont ainsi imposées et il restait à décider de les assumer et de jouer avec ; ou de complexifier l’outil pour recréer des fonctionnalités auxquelles nous sommes habitués. Ce numéro 0 reste avant tout un test des limites techniques et des opportunités formelles de cette technologie.

Paged.js est une bibliothèque Javascript qui permet de manipuler des documents Web à destination de l’impression. En d’autres termes, elle fabrique un environnement de travail d’édition au sein d’un navigateur web. L’organisation par page, l’enchaînement des paragraphes, la pagination ou la gestion des titres courants sont autant d’aspects propres à l’objet technique « livre » et qui ne sont pas ou mal pris en charge par les technologies web standards construites autour de documents linéaires (que l’on dit « liquides », c’est-à-dire qui s’adaptent à la fenêtre sur laquelle ils sont affichés).

Les modules d’impression des navigateurs, par exemple, ne sont pas encore conçus pour faire correctement et précisément ces manipulations. Pourtant, la puissance de flexibilité et de configurabilité du couple « html / css » pour la mise en page n’est plus à prouver et la présence d’un langage de programmation (Javascript) au sein du processus de rendu offre (enfin!) des possibilités graphiques paramétriques (et plus seulement comme des extensions permettant d’automatiser des manipulations sur une maquette rigide).

Même si elle ne fait pas partie des priorités pour les développeurs de navigateurs (parce que relevant d’une pratique encore marginale) on peut tout de même remarquer que de plus en plus de fonctionnalités CSS pour l’impression commence à être supportées.

On peut donc voir Paged.js comme une extension des capacités des navigateurs web à manipuler et afficher des contenus organisés sous forme de pages, telle une « émulation » d’un livre au sein d’un document linéaire.

Paged.js n’est qu’un des nombreux scripts qui manipulent le contenu de la revue avant sa diffusion. Par exemple, les contributions des auteurs se font en Markdown, langage de balisage léger, permettant de structurer rapidement et facilement le texte « brut » de l’article. Il faut donc ensuite convertir ces documents en HTML (langage de contenu structuré, standard du web) et les placer les uns à la suite des autres dans la page. Lors de cette opération, certains éléments spécifiques à la revue sont générés automatiquement comme la table des matières ou le cartouche contenant le titre et le nom des auteurs au début de chaque article. Ces étapes ont lieu « côté serveur », c’est à dire qu’elles sont réalisées par un logiciel qui va ensuite « servir » le document comme n’importe quelle page de site web.

Ont lieu ensuite des étapes « côté client », c’est-à-dire réalisées par le navigateur web. Un script nommé Hyphenopoly va repérer dans l’intégralité du texte de la revue, les césures possibles par les règles spécifiques à la langue (ici, française). Ainsi le texte pourra être césuré correctement si un élément de mise en page le demande. Voici un exemple de fonctionnalité spécifique à l’édition qui est mal pris en charge par les navigateurs web et qui doit donc être automatisé par un script si l’on ne veut pas devoir le faire à la main (comme s’il s’agissait d’une composition avec des caractères de plomb).

Ensuite, une série de modifications est réalisée sur la page pour répondre à des spécificités d’accessibilité des pages web pour permettre à tous les lecteurs qui n’utilisent pas leurs yeux d’accéder au contenu (autant les personnes atteintes de déficience visuelle que les bots). C’est ici, et seulement ici, que la séparation « écran » et « édition » a lieu. L’objectif est de garder le plus longtemps possible une source commune aux deux sorties pour minimiser et maîtriser les différences formelles entre les deux. Paged.js découpe alors le contenu en « pages », cette étape est donc l’occasion de mettre en place d’autres spécificités du livre comme les notes en bas de page. Ces manipulations sont des scripts écrit spécifiquement pour BLOB qui s’appliquent après la présentation de chaque page.

L’un des rôle de Paged.js est aussi d’atténuer les variations d’affichage entre les navigateurs web. Cela fait partie de la pratique du web design et la liberté de paramétrage des internautes doit être respectée, anticipée et accompagnée. Dans le cas de l’impression, il faut une unique source, qui soit le plus stable possible tout au long du développement. Elle consiste, la plupart du temps, en une impression dans un fichier PDF, format propriétaire mais standard dans l’édition et l’imprimerie.

Pourtant des différences persistent et sont parfois difficilement identifiables. Par exemple, le moteur de rendu Webkit (Chrome) prend généralement mieux en charge des fonctionnalités propres à l’impression que d’autres navigateurs. Le moteur Gecko (Firefox) est souvent le premier à intégrer les fonctionnalités standards CSS comme le paramétrage fin de la typographie (les césures et le réglage des approches). Ce numéro de BLOB est donc aussi un assemblage de différents rendus selon les particularités de la mise en page des articles.

Nous avons fait le choix de travailler au sein d’un dépôt Git, logiciel de versionnage traditionnellement utilisé pour des projets de développement de logiciels. Ainsi l’historique de l’écriture et des corrections des contenus côtoie ceux de la mise en page et du développement des outils relatifs à l’édition et la diffusion en ligne. Voici un aperçu de quelques modifications publiées sous forme de comit, c’est-à-dire d’ajouts ou de suppressions de données plus ou moins conséquentes et commentées de manière succinte .

id utilisateur date commentaire ajouts et suppressions
c4dc890 jeremie nuel 12 Dec 2019 correction de la table des matières 34+ & 48- sur 21 fichiers
c219839 Corentin Brulé 12 Dec 2019 maj gestion des trop longues notes 52+ & 24- sur 4 fichiers
c219839 dol-dol 27 Fev 2020 encore-ctions DOL 3+ & 2- sur 1 fichier

BLOB (Binary Large Object)

Publication (ir)régulière de l’Unité de Recherche Numérique en Art et Design de l’ESAD Saint-Étienne / ENSBA Lyon

www.randomlab.io www.labo-nrv.io

Remerciements aux artistes, autrices et auteurs qui ont accepté de produire une œuvre ou un texte pour ce numéro ou qui ont bien voulu accorder de leur temps pour des entretiens.

Traductions : Lucie Desaubliaux

Relectures : Liliane et Jacques Delprat

Conception : Corentin Brulé en collaboration avec Jérémie Nuel

Caractères typographiques : Inknut Antiqua de Claus Eggers Sørensen & Space Mono de Colophon Foundry

Crédits photographiques : les autrices et auteurs des articles, sauf mentions contraires

L’Unité de Recherche Numérique en Art et Design de l’ESAD Saint-Étienne / ENSBA Lyon est soutenue par le ministère de la Culture.

Février 2020

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